Institutionaliser le conflit de critère pour rendre l’école aux enseignant·e·s

Institutionaliser le conflit de critère pour rendre l’école aux enseignant·e·s

L’école primaire est en souffrance. Les enseignant·e·s la soutiennent tant bien que mal, porté·e·s par leur unique conscience professionnelle au prix parfois de leur santé. L’école questionne. Elle est au centre de toutes les préoccupations sociales. On la trouve fragilisée, mais en réalité, si elle n’a jamais autant été remise en question, c’est qu’elle n’a jamais été aussi forte et influente. Ses missions sont multiples, complexes, variables et parfois même contradictoires. Néanmoins, aujourd’hui, il semble que nous ayons tendance à perdre de vue l’objectif central du travail éducatif: conduire le plus grand nombre d’élèves au maximum de leur potentiel. Contrairement à l’image populaire véhiculée, les enseignant·e·s ne dénoncent pas l’augmentation de leur charge de travail, bien que celle-ci augmente d’année en année. En effet, les enseignant·e·s que l’institution finit par épuiser sont celles et ceux qui ont l’impression de ne plus pouvoir faire leur travail. Celles et ceux qui rêvent d’une école publique qui ne laisse «personne au bord du chemin». Celles et ceux qui n’acceptent pas d’être moins consciencieux. Celles et ceux qui attendent encore de pouvoir construire cette fameuse école inclusive qui ne le serait pas que sur le papier. Les systèmes éducatifs sont remis en question dans le monde entier et subissent de nombreuses réformes. Cellesci répondent le plus souvent aux injonctions et aux calendriers politiques et se concrétisent à travers l’introduction de nombreux moyens d’enseignement romands (MER), une farandole de recyclages ou encore, à Genève cet automne, l’introduction fracassante du numérique. Du point de vue romand, l’entrée en vigueur du concordat HarmoS visant à harmoniser la scolarité obligatoire instaure un pilotage du système axé sur l’évaluation de la performance et se concrétise en 2010 avec l’introduction d’un Plan d’études romand (PER). A Genève, le processus est amorcé quelques années plus tôt, en 2006, par la votation populaire imposant le retour des notes. Ainsi, le peuple a signifié aux professionnel·le·s de l’enseignement qu’il rejetait massivement cette réforme qui avait pourtant été le fruit d’un long processus et pensée pour faire de l’évaluation un geste professionnel accompagnant l’élève et le soutenant dans ses apprentissages. L’évaluation comme objet et outil d’enseignement et non seulement comme outil de comparaison et de sélection. Ainsi, à Genève plus que dans d’autres cantons, on peut constater, comme le relève Raphaël Pasquini, que cette obsession du changement participe «à déposséder les enseignants de leur pouvoir d’action, les assimilant davantage à des techniciens qualifiés de l’éducation qu’à des praticiens responsables». Ce n’est donc pas à coup de réformes grandiloquentes qu’on va aujourd’hui sauver l’école, mais bien en rendant l’école aux enseignant·e·s. En 2005, un état de la recherche sur les écoles efficaces et la réussite scolaire des élèves à risques en Amérique du Nord relève «qu’un des problèmes récurrents dans les pratiques est le manque de cohérence entre les contenus des programmes, ce que les enseignants font effectivement apprendre à leurs élèves, et la manière dont ils les évaluent». Les travaux d’Yves Clot sur l’importance du travail bien fait vont dans ce sens. La qualité de vie au travail est d’ailleurs selon lui enracinée dans la qualité même du travail. Il va même plus loin en affirmant qu’il n’y a pas de bien-être au travail sans bien faire et que c’est quand on peut justement prendre son travail à coeur, se reconnaitre dans ce que l’on fait, faire quelque chose de défendable à ses propres yeux que l’on a le plus de chance d’avoir sa santé protégée. Ce professeur de la psychologie du travail affirme que la santé mentale des salarié·e·s s’améliore quand ils et elles sont non seulement consulté·e·s sur des transformations de leur organisation, mais également partie prenante des décisions qui engagent leur travail. Il précise néanmoins qu’il vaut mieux ne pas être consulté·e, si on ne peut pas être entendu·e. En effet, être consulté·e sans pouvoir influer sur les décisions revient à générer de la parole inutile qui fabrique de la défiance et du ressentiment. Ainsi, ce n’est qu’en permettant aux enseignant ·e·s de s’approprier leurs champs de compétences explicites que les professionnel ·le·s du premier niveau, les professionnel ·le·s du terrain, pourront à travers le conflit de critères construire leur point de vue sur la qualité du travail. En effet, le point de vue des enseignant·e·s sur les critères du travail bien fait n’est pas constitué. Les enseignant·e·s doivent reconquérir à travers l’échange et la controverse le monopole de l’employeur à décider des critères d’un travail de qualité et ainsi retrouver l’espace de librement les examiner entre elles et eux en confrontation avec l’employeur, la hiérarchie, de délibérer afin d’instruire leur point de vue. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, ce n’est qu’en instituant le conflit de critères du travail bien fait entre l’institution et les enseignant·e·s, en rendant notamment la parole aux professionnel·le·s du premier niveau, qu’on valorisera l’expertise professionnelle et qu’on luttera efficacement contre l’échec scolaire dans une perspective de professionnalisation du métier.

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