Dans un dessin publié par ArcInfo le 23 mars 2019, Vincent l’Épée met en scène un vendeur enthousiaste qui, les bras levés au ciel, répond à la question: «La 5G, pour quoi faire?» par un tonitruant: «Pour aller plus vite!» Devant lui, un client éberlué lui rétorque «Plus vite où?»

Dès le début des années 2000, le canton de Neuchâtel avait décidé d’empoigner à bras le corps l’équipement informatique de l’école obligatoire. Trois ordinateurs par classe au primaire, salles d’informatique au secondaire, connexions internet, imprimantes et autres périphériques, formations diverses pour tous le corps enseignant et, pierre angulaire du système, une plateforme RPN (réseau pédagogique neuchâtelois) fort bien conçue: l’effort était conséquent.

Hélas, depuis, le système a été un peu négligé. Accaparé·e·s par toutes sortes d’injonctions, les enseignant·e·s se sont souvent découragé·e·s, laissant la poussière s’accumuler sur les belles machines devenues un peu poussives. La plateforme unique, ne répondant plus aux besoins de tout le monde, a vu fleurir autour d’elle des concurrentes, parmi lesquelles même les plus obstiné·e·s finissent par se perdre. Mais où est donc ce fichu formulaire? Après de longues minutes de recherches inutiles, lequel, laquelle d’entre nous n’a pas dû, plusieurs fois, faire appel à sa direction pour s’y retrouver?

Évolution, révolution ou «rêve-olution»? 

Entre temps, la société a évolué, à la vitesse grand V. Dès l’âge de 12 ans, l’immense majorité de nos élèves a déjà l’internet… dans sa poche. Ma voiture contrôle tout ce que je fais au volant. Mon magasin préféré enregistre le moindre de mes achats, et les grosses firmes du net surveillent chacune de mes activités électroniques. Le dictionnaire papier? Il n’y a plus que les écoles qui en achètent, ou obligent leurs étudiant·e·s à le faire. Et tout à coup, les cantons romands se réveillent, dans le plus joyeux désordre, et décrètent l’arrivée de l’éducation numérique. Comme le tabouret du trayeur (à ne pas confondre avec le fameux bottecul), celle-ci aura trois pieds: science informatique, éducation aux médias et usage numérique. Dans la précipitation, et pour éviter une certaine anarchie, la CIIP tente de canaliser ce bel enthousiasme et de coordonner les efforts en modifiant le Plan d'études romand avant que tout le monde ne l’oublie. Neuchâtel, pour ne pas passer pour le cancre de service, s’y met lui aussi: plus de 20 millions de francs devraient être portés au budget cantonal par le Grand Conseil pour les années 2020 à 2025.

Les enseignant·e·s auraient tort de se désintéresser de ce phénomène. L’école n’échappera pas à une réflexion approfondie sur une évolution technologique accélérée qui est en train de provoquer un bouleversement sociétal majeur. Ajouter une période d’enseignement à l’horaire ne suffira pas à répondre au besoin de formation technique, mais surtout psychologique, qui se fait de plus en plus criant. C’est tout le fonctionnement de l’école qui sera à moyen terme modifié par ces nouvelles habitudes dans lesquelles grandissent nos élèves. Tôt ou tard, comme dans la vie quotidienne, le numérique envahira toutes les pratiques de la vie scolaire. Pour le meilleur ou pour le pire? À nous de faire les bons choix, et d’entrer avec intelligence dans l’ère du numérique!