Qu’enseigne-t-on lorsqu’on travaille la compréhension en lecture en 4e année HarmoS?

Qu’enseigne-t-on lorsqu’on travaille la compréhension en lecture en 4e année HarmoS?

 

Lire c’est comprendre

Lire ne signifie pas simplement déchiffrer ce qui est écrit, lire c’est également comprendre. Le lecteur ne tire pas uniquement le sens du texte, il comprend en fonction de ses connaissances et des processus qu’il met en œuvre.

La compréhension en lecture est un acte dynamique impliquant trois éléments qui entrent en jeu de manière imbriquée : le lecteur, qui met en œuvre des processus et des connaissances pour comprendre un texte, le texte lui-même, possédant des caractéristiques qui lui sont propres, et le contexte dans lequel le lecteur lit, c’est-à-dire dans quel but, dans quelle situation particulière. (Giasson, 2004/2007).*

Le lecteur est ainsi acteur de sa lecture et doit développer et acquérir les compétences pour comprendre ce qu’il lit. Les processus et connaissances qu’il utilise peuvent être catégorisées ainsi : les processus métacognitifs (anticiper la suite d’une histoire, exprimer son avis sur un ouvrage, contrôler et réguler sa compréhension par exemple en relisant une partie), les processus et connaissances sur la compréhension en lecture d’un texte en particulier (lexique spécifique du texte, les caractéristiques des différents genres textuels, c’est-à-dire leur organisation, leurs contenus spécifiques, etc.), le déchiffrage, mais aussi des connaissances sur la langue et le vocabulaire.

Ces processus et connaissances nécessaires lors de la lecture doivent donc être enseignés et ainsi être considérés comme des contenus d’enseignement. La compréhension en lecture comme objet d’enseignement est présente dans les documents officiels**. Elle doit être travaillée à travers des activités de construction (enseignement explicite) et de mobilisation du contenu pour que les élèves apprennent et construisent les notions nouvelles et puissent ensuite les exercer et les mobiliser sans intervention de l’enseignant.

Dans le cadre de mon mémoire de licence en Sciences de l’éducation, j’ai mené une recherche auprès de six enseignantes à Genève sur l’enseignement de la compréhension en lecture en 4e année HarmoS, degré où les élèves sont considérés comme des lecteurs plus ou moins autonomes. Les résultats de cette recherche ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble du corps enseignant genevois, mais ils donnent accès aux pratiques habituelles de quelques enseignantes concernant la compréhension en lecture et mettent en évidence certaines tendances quant à son enseignement. Il s’agissait ainsi d’observer les contenus présents et ceux qui ne l’étaient pas en distinguant ceux qui relevaient d’un travail explicite de l’enseignant de ceux qui apparaissaient dans des activités de mobilisation ou exercisation. La recherche tentait également de rendre compte de la progression dans l’enseignement de ces contenus.

 

Comment s’est déroulée la recherche ?

La démarche de recueil et d’analyse des données choisie dans le mémoire est semblable à celle proposée par le Groupe de Recherche pour l’Analyse du Français Enseigné, Lecture (GRAFELECT) de l’équipe de didactique du français à l’Université de Genève. Elle consiste à récolter des traces écrites (exercices donnés aux élèves et notes de l’enseignant) concernant l’enseignement de la compréhension en lecture sur une période définie de deux semaines. Deux entretiens ont aussi été menés : un premier avant la période du recueil permettant de connaître les conceptions des enseignantes à propos de la compréhension en lecture et de leurs pratiques en général, et un deuxième après cette période ciblant les pratiques effectives lors des deux semaines.

L’analyse a ainsi porté sur des traces concrètes selon une grille catégorisant les différents processus et connaissances du lecteur mentionnés ci-dessus.

Pour montrer une éventuelle progression des contenus et leur hiérarchisation dans une année scolaire, les périodes de recueil des données on été réparties entre le deuxième et le troisième trimestres. Il s’agissait aussi de mettre en évidence les contenus travaillés à travers des activités de construction et/ou de mobilisation des savoirs. Cette analyse visait ainsi l’identification des contenus faisant l’objet d’un pointage explicite par l’enseignant ou uniquement de leur mise en œuvre dans certaines activités.

 

Qu’est-ce qui est enseigné en 4e année HarmoS?

Même si les activités sont différentes, les contenus travaillés et ceux qui ne sont pas abordés durant les deux périodes du recueil diffèrent peu dans l’ensemble, ce qui montre une certaine homogénéité au niveau de ces contenus et de leur hiérarchisation dans les pratiques.

Tout d’abord, le travail sur la compréhension d’un texte en particulier apparaît dans de nombreuses activités chez chacune des enseignantes. Elles proposent ainsi des exercices portant sur le lexique, sur des expressions tirées du texte lui-même, sur le genre de texte (texte qui raconte, texte qui règle des comportements, etc.). Ce travail ciblé sur un texte est défini par les enseignantes comme « la création d’un film».  Selon elles, pour comprendre, il faut se faire une image mentale du contenu du texte lu, ce qui rejoint les propos de certains auteurs (Golder & Gaonac’h 1998/2004***,) Giasson 2004) qui expriment l’importance de former un tout cohérent ou d’avoir un modèle mental de ce qui a été lu.

Les six enseignantes ont également toutes proposé des activités nécessitant le repérage d’une information (paraphrase, contenus, etc.) dans un texte, ce qui demande aux élèves d’avoir mémorisé ses différentes parties, relevé des indices textuels (organisateurs textuels, marques de dialogue, etc.) ainsi que des illustrations pour s’y repérer.

Ces deux contenus sont ainsi les plus représentés durant la période complète du recueil. Même s’ils sont travaillés à des fréquences différentes (une à deux fois par semaine pour certaines enseignantes, quotidiennement pour deux d’entre elles), l’ensemble des résultats montre que l’accent est mis sur ces deux processus.

D’autres contenus, en revanche, sont très peu présents dans les données récoltées (abordés par une, deux ou trois enseignantes). Les traces montrent, par exemple, que les activités proposées ne permettent que très peu aux élèves d’émettre et de vérifier des hypothèses sur le contenu d’un texte. Ce processus d’anticipation est pourtant important car il permet au lecteur de se créer un horizon d’attente sur le texte à lire et ainsi d’adapter sa lecture. En effet, lire un texte qui règle des comportements et un texte qui raconte ne présuppose pas les mêmes compétences.

L’ensemble des activités n’amène pas non plus les élèves à évaluer un texte en émettant une appréciation le concernant. De plus, les traces indiquent qu’il y a peu de moments où les élèves travaillent avec des livres (quatre enseignantes sur six travaillent régulièrement avec des photocopies). Ce contact avec des ouvrages concrets est important pour le développement des références culturelles contribuant à la compréhension en lecture. 

Il est aussi intéressant de noter que les enseignantes ne mettent pas l’accent sur le déchiffrage. Cette opération est nécessaire dans toute lecture autonome, mais seulement deux enseignantes expliquent avoir fait un travail portant sur ce contenu. On peut ainsi supposer qu’il ait été travaillé auparavant, en 3e année HarmoS, degré souvent considéré comme celui ciblant l’apprentissage du fonctionnement du code graphique. Par conséquent, en 4e année HarmoS, le travail concernerait davantage la compréhension en lecture. Cependant, si les textes se complexifient durant la scolarité, les élèves se retrouveront probablement face à des mots nouveaux et donc difficiles à déchiffrer. Il pourrait donc être judicieux de poursuivre ce travail après la 3e année HarmoS.

Par ailleurs, l’analyse des données ne montre aucun travail particulier à propos des connaissances de l’élève sur le monde qui l’entoure (connaissances préalables du lecteur). Ces connaissances au sujet d’une thématique abordée dans un texte fait du lecteur un expert car il comprendra davantage un texte portant sur un sujet bien connu, que sur un sujet qu’il maîtrise moins. Certes, les enseignantes travaillent sur le lexique spécifique d’un texte mais ne font pas de liens entre les connaissances préalables de l’élève et ce qu’elles apportent à la compréhension d’un texte.

 

Comment enseigne-t-on la compréhension en lecture?

De manière générale, quel que soit le contenu abordé et la période de travail, les six enseignantes proposent davantage d’activités de mobilisation des contenus où les élèves auraient déjà acquis les processus ou les connaissances travaillés. En effet, l’analyse de ces données montre que la plupart des apprentissages effectués ne font pas l’objet d’un pointage explicite. De plus, les activités mobilisées ne sont en général pas construites durant la période du recueil. Les élèves effectuent ainsi un travail sur des contenus sans intervention enseignante particulière. Il s’agit, par exemple des processus de repérage dans un texte, de la mise en lien entre les connaissances du lecteur sur le monde avec sa compréhension, etc.. Les activités proposées demandent ainsi aux élèves de mettre en œuvre ces processus et connaissances de manière autonome. Etant principalement mobilisés, ces contenus ont pu être enseignés avant la période du recueil et sont ainsi considérés comme des notions déjà acquises, c’est pourquoi ils n’apparaitraient pas dans les résultats.

Ce constat peut cependant être interpellant : si des activités de construction ont été effectuées auparavant, une progression pourrait être observée au 2e et au 3e trimestres, ce qui n’est pas flagrant. En effet, même si certains processus sont construits au 2e trimestre et mobilisés au 3e, le phénomène inverse est aussi présent, certains étant construits au 3e et mobilisés au 2e.

 

Y a-t-il des influences des pratiques enseignantes sur les résultats des élèves ?

Au vu de ces constats, nous pouvons nous questionner sur l’influence de l’enseignement de la lecture en primaire sur les compétences des élèves plus âgés. Les enquêtes PISA (2009) permettent de mettre en évidence les compétences en lecture d’élèves de quinze ans.

PISA établit trois sous-échelles de compétences pour évaluer le niveau des élèves en lecture : localiser et extraire (repérer des informations dans un texte), intégrer et interpréter (comprendre les liens entre les différentes informations du texte et les contenus implicites), réfléchir et évaluer (mettre en relation sa compréhension du texte avec ses connaissances générales afin d’émettre un avis).

En 2009, « la comparaison des performances à ces différentes échelles a montré que la Suisse (élèves de 15 ans), les pays germanophones et la Belgique réussissaient mieux à l’échelle localiser et extraire qu’aux deux autres échelles » (PISA, 2009, p. 14). On pourrait ainsi penser que cette compétence est davantage enseignée durant la scolarité des élèves. Si nous émettons cette hypothèse, elle serait confirmée par la recherche menée auprès des six enseignantes genevoises, car il s’agit effectivement de l’un des contenus les plus présents dans les pratiques observées. On ne peut évidemment pas transposer ces résultats à l’échelle de la Suisse entière, mais elle peut nous interpeller quant à l’influence des contenus enseignés en primaire sur le développement des compétences en lecture des élèves.

 

Quelques questionnements…

Avec les constats obtenus relatifs à la compréhension en lecture d’élèves de 4e année HarmoS, on peut encore se demander ce qui est réellement enseigné en classe. Les élèves ont-ils acquis certains processus et connaissances pour effectuer des activités de systématisation ? Faut-il au contraire les reprendre pour qu’ils puissent se trouver dans une situation d’apprentissage pour ensuite l’exercer ? Pourquoi certains contenus ne sont-ils pas/peu abordés ? Est-ce dû à l’âge des élèves ou à une sélection effectuée par les enseignantes ?

Toutes ces questions en suspens nous interrogent toujours sur les contenus abordés durant l’ensemble de la scolarité obligatoire. Ils montrent la nécessité de recherches  longitudinales de plus grande envergure avec différents enseignantes et cohortes d’élèves, qui permettraient peut-être de mieux comprendre à quel moment de la scolarité certains contenus sont enseignés mais aussi leurs impacts sur les apprentissages des élèves en ce qui concerne la compréhension en lecture.

 

 

 

*Giasson, J. (2007). La compréhension en lecture. Canada : De Boeck Université.

**Giasson, J. (2004). La lecture. De la théorie à la pratique. Bruxelles : De Boeck & Larcier.

***Comme la recherche réalisée s’est déroulée durant l’année scolaire 2010-2011, on s’est référé aux objectifs du Plan d’études genevois 2000 et 2007 et aux planifications du Service des langues à Genève.

****Gaonac’h, D. & Golder, C. (1998/2004). Lire et comprendre. Psychologie de la lecture. Paris : Hachette Education.

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