Eviter les petits plaisirs sadiques, faire preuve d’un sens moral dès le plus jeune âge, savoir se protéger des violences de ceux qui n’ont qu’elles pour tenter d’exprimer un sentiment de supériorité, bienvenue à la récréation! La récré est toujours le moment le plus fort et le plus important de la matinée d’école. Enfants le plus souvent livrés à eux-mêmes, les hiérarchies sont bousculées, voire inversées, l’occasion pour les moins adaptés à la culture scolaire de prendre leur revanche sur les premiers de classe qui ont intérêt à développer des stratégies dignes de leur intelligence pour survivre sur un terrain où ils sont parfois moins à l’aise que dans une salle de classe. Evoquant les débordements, les intimidations et les violences verbales ou physiques toujours très courants lors de la grande pause matinale, un de mes garçons, qui fréquente le deuxième cycle, affirme posément: «Je n’ai pas d’ennemi.» Frappé par la formule lapidaire mais très explicite utilisée par mon fils pour décrire sa manière de se comporter lors des récrés, j’essaie de comprendre ce qu’elle signifie concrètement. «Je n’ai pas d’ennemi» signifie-t-il ne pas frayer avec les bagarreurs ou les enfants violents, ne pas attirer leur attention, mais ne pas les provoquer non plus, et même rester en groupes, pour s’entraider et s’éviter des problèmes, le cas échéant? «Je n’ai pas d’ennemi» ne veut-il pas également dire ne pas écraser les plus faibles, ne pas nourrir d’inutiles inimitiés en humiliant des enfants déjà fragilisés par leur origine sociale, le manque d’affection de leurs proches, leur disgrâce physique ou leurs connaissances générales ou capacités intellectuelles limitées? Même s’il m’est impossible de me rendre compte avec précision du niveau de compréhension et de conscience de la stratégie d’auto-défense d’un de mes fistons, je dois dire que le comportement de mon fils à la récré me rassure autant que la lecture de son très bon bulletin scolaire! A l’école, et ce n’est pas nouveau, on apprend autant à la récré qu’en classe. Les stratégies mises en place par les enfants visent à éviter les situations d’exclusion et d’humiliation. C’est tout au long de la vie qu’il faut poursuivre ce type d’engagement: pourquoi tolérer à l’âge adulte des attitudes qui nous révulsent chez les enfants?