SPG: De la déprofessionnalisation des enseignant·es au nom de l’efficacité néolibérale - 09/2023

SPG: De la déprofessionnalisation des enseignant·es au nom de l’efficacité néolibérale

Partie 2 : centralisation de la production des MER, normalisation des pratiques et massification des prescriptions

 

 

L’adoption d’un Plan d’étude romand ( PER ) depuis la signature du concordat HarmoS et la centralisation de la production des moyens d’enseignement romands ( MER ) qui en a découlé peuvent procurer l’illusion de contrôler, à travers eux, la qualité de l’enseignement prodigué dans les classes et d’assurer un niveau minimal d’enseignement. Outre le fait que ces moyens sont d’un point de vue strictement pédagogique relativement médiocres, en ce sens qu’ils tiennent à peine compte de la diversité et de l’hétérogénéité dans les classes tout en n’offrant que peu de marge à l’exploration de différentes modalités de travail simultanées, ils ne parviennent pas à se départir d’une vision classiste et ne proposent que peu de pistes pour une réflexion critique sur le sexisme, l’homophobie, le validisme ou le racisme tout en ne représentant que ponctuellement une société plurielle issue de la migration, autant d’enjeux sociaux sur lesquelles l’école ne devrait plus pouvoir se permettre de fermer les yeux. Malgré les limites évidentes de ces MER dont la SPG dénonce, dans toutes les instances dédiées, depuis plusieurs années, l’inadéquation aux enjeux sociétaux actuels, tant sur les modalités d’enseignement proposées que plus globalement la manière apolitique dont les thématiques sont abordées, la DGEO prescrit leur utilisation comme outil pour normaliser les pratiques d’enseignement et contribue ainsi à la déprofessionnalisation des enseignant·es.

 

Votre avenir « clé en main »

Si la volonté de collaboration et d’harmonisation entre les cantons doit être saluée, il en résulte malheureusement qu’elle contribue, telle qu’elle s’est concrétisée, à déposséder les enseignant·es de leur métier et de leur identité professionnelle au profit de ce que Chevallard ( 1991 ) a ironiquement nommé la « noosphère », la sphère des idées, soit l’ensemble des acteurs qui pensent la pratique pédagogique sans l’exercer. En effet, les gestes professionnels que constituent la planification, l’élaboration d’une séquence d’enseignement, son déroulement, les régulations, la différenciation et les différentes formes d’évaluation sont partiellement pris en charge par ces moyens d’enseignement « clé en main » et complétés par une quantité de directives et diverses injonctions cantonales toujours plus croissantes, soit une massification de la prescription. Aujourd’hui ce ne sont plus les enseignant·es qui  définissent les programmes et les moyens d’enseignement ou qui conçoivent les outils didactiques et les technologies éducatives. Certes, ces MER résultent partiellement d’une demande du corps enseignant pour répondre notamment à l’augmentation toujours plus importante de la charge de travail. Ainsi, pour permettre au corps enseignant d’effectuer des tâches qui ne relèvent pas intimement de son cahier des charges allant de la manutention au secrétariat en passant par les soins, ces MER viennent à le déposséder de ce qui fait le cœur même de sa profession.

 

Confondre son PER et ses MER

Par ailleurs, s’il parait évident que l’institution exige dans le cadre de l’évaluation de ses agent·es que ceux-ci, celles-ci se réfèrent au PER pour planifier leur enseignement, il revient régulièrement dans les EEDP 1 que tel·le ou tel·le enseignant·e ne s’est pas référé·e non pas au PER, mais aux MER. Il en résulte une confusion entre les objectifs que les élèves doivent atteindre et les moyens employés par l’enseignant·e pour les y faire parvenir. Si ces MER en soi paraissent déjà problématiques, il parait plus problématique encore de les prescrire. À cet effet, Perrenoud souligne : « Le risque d’injustice vient immédiatement à l’esprit : notre rapport à l’école est à ce point perverti qu’on s’inquiète dès que, dans deux classes parallèles, les enseignants n’introduisent pas une notion du programme au même moment de l’année ou ne donnent pas aux devoirs à domicile la même importance. » La quérulence de certains parents d’élève et la légitimation par l’institution de leurs revendications ont en effet progressivement rendu souhaitable le déploiement d’un non-sens pédagogique, soit une « collaboration » par degré qui soumet aux élèves des mêmes degrés les mêmes évaluations et les mêmes devoirs. Dans cette perspective, l’enseignement se pense en fonction des évaluations et des devoirs, alors même que l’évaluation tant formative que certificative devrait se conduire au service de l’enseignement et non l’inverse. Cette nouvelle pratique de collaboration qui relève davantage de la répartition de tâches semble par ailleurs s’être normalisée dans le sens qu’elle est aujourd’hui institutionnalisée et relève même dans certains établissements d’une exigence hiérarchique.

 

De l’autonomie et de la responsabilité professionnelle

Il apparait ainsi que pour se protéger, voire se couvrir, la majorité des enseignant·es aient renoncé volontairement à une partie de leur autonomie. Toutefois, ne nous y trompons pas, cette uniformisation touche principalement ce qui sort de l’établissement et qui est soumis aux regards scrutateurs de l’extérieur, à savoir, comme nous l’avons évoqué, les devoirs et les évaluations. Dans sa classe, l’enseignant·e conserve une relative autonomie, qui ne saurait pourtant relever de la délégation de pouvoir. Par ailleurs, « cette autonomie cachée présente l’avantage d’être sans grands risques : aussi longtemps que sa liberté est clandestine - même si elle est un secret de polichinelle – l’enseignant peut se retrancher derrière les programmes, les méthodes, les moyens d’enseignement officiels. S’il avait ouvertement le choix de ses moyens et stratégies d’enseignement, il ne rendrait pas des comptes sur sa conformité aux règles, mais sur l’atteinte des objectifs » ( Hutmacher, 1990 ), ainsi il deviendrait responsable de ses décisions pédagogiques et donc, parfois de ses erreurs. En effet, la problématique de ce que les Anglo-Saxons nomment accountability, traduit parfois par « imputabilité », est au cœur d’une « professionalisation interactive » ( Gather Thurler, 1996 a ). Il ne saurait avoir une maitrise accrue d’un métier ( empowerment ) sans obligation de rendre compte à ses pair·es, aux usagèr·es et aux mandants.

 

Vers un enseignement ubérisé ?

Toutefois, cette renonciation consentie s’inscrit dans une dynamique où les autorités scolaires tendent justement à favoriser un modèle de professionnalisation à compétence minimale et il est de plus en fréquent d’entendre dans le discours des représentant·es de la DGEO qu’il serait souhaitable d’imposer une planification cantonale afin de ne pas fragiliser ou pénaliser les élèves déménageant en cours d’année. Cette aberration pédagogique - où la planification se substitue à l’enseignement et où l’outil devient l’objectif d’apprentissage - si éloignée de la réalité de l’enseignement, et surtout du développement cognitif de l’élève, relève évidemment d’une vision dans laquelle l’enseignant·e ne serait, pour reprendre la formule de Perrenoud, qu’un service de livraison et n’est rendue possible que par l’évolution de la gestion publique et le développement d’un management par dispositifs sur lequel je reviendrai dans un prochain billet. Relevons toutefois que les dispositifs sont toujours invoqués au nom de l’égalité de traitement, mais par leur nature même et leur rigidité intrinsèque, ils rendent impossible toute différenciation seule garante d’une véritable équité. 

 

Francesca Marchesini, présidente de la SPG

 

 

1 Entretiens d’évaluation et de développement du personnel 

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