VD: Vous avez dit pédagogie universelle ? - 11/2021

VD: Vous avez dit pédagogie universelle ?

Parmi le vocable du monde pédagogique, deux termes ont fait une apparition remarquée en terre vaudoise. Il s’agit de la « pédagogie universelle » et de la « classe flexible ». Avec eux, toute une série de remarques, plus ou moins acerbes de personnes peut-être un peu essoufflées de la rapidité des changements, peut-être légèrement agacées par des effets de modes pédagogiques, peut-être interrogatives face à des injonctions ou prescriptions qui ne font pas toujours sens. Peu importe les raisons nombreuses et variées ... certains, certaines, envers et contre tout, se sont lancé·es dans d’autres façons d’enseigner qui font écho à l’arrivée du vocable en question.

 

Le terme nous vient de nos ami·es canadien·nes qui ont pensé un parallélisme entre le monde de l’architecture et celui de l’éducation. En effet, les architectes ont été parmi les premièr·es à avoir été conduit·es à penser une architecture répondant aux besoins des personnes porteuses d’un handicap. Progressivement, ils·elles ont rendu accessible la totalité de l’espace public à l’ensemble de la population, sans faire de distinction particulière. Ainsi, en tant que personne ordinaire, nous ne faisons peut-être plus attention aux aménagements d’accès universels, tant ces derniers se fondent dans le paysage. Nous pouvons utiliser indifféremment une rampe d’accès ou un escalier, un quai de gare ou l’entrée d’un magasin, sans avoir une conscience particulière du fait que nous utilisons des aménagements pensés pour une accessibilité universelle, quels que soient notre âge ou nos capacités visuelles. Le concept s’est exporté et, par analogie, les Canadien·nes ont parlé de pédagogie universelle, d’abord pour évoquer l’espace scolaire, de la classe et le matériel, en lien avec les élèves à besoins particuliers. Puis, dans un second temps ils·elles ont pensé que cette chaise qui roule et cette table plus légère, ces casques de protection du bruit, l’ordinateur, etc., pourraient également servir tous·tes les élèves. Ainsi, le concept a pris forme.

Actuellement, ce qui caractérise une pédagogie universelle, c’est d’une part la présence d’un environnement aménagé particulièrement, pensé par des espaces de travail individuel, collectif, debout, assis, etc., ainsi que la mise à disposition de matériels spécifiques de type chaises et tables réglables, casques antibruit, etc. ; et, d’autre part, la mise en œuvre d’un enseignement dit explicite ; la présence de formes de coopération pour apprendre ; une certaine flexibilité ; un soutien constant et durable des processus d’apprentissage de la part des directions scolaires et de l’ensemble des professionnel·les intervenant auprès des élèves ( autrement appelé un leadership pour les apprentissages ).

 

Vous prendrez bien un peu de flexibilité ?

 

Pour les tenant·es d’une pédagogie universelle, non seulement le matériel scolaire ordinaire ou traditionnel, mais également les formes d’enseignement magistral ne laissent que peu de place pour apprendre ensemble. En d’autres mots, tant le matériel que la pédagogie seraient peu, voire pas flexibles, peu adaptés à l’ensemble des besoins de tous·tes les élèves. C’est ainsi qu’outre-Atlantique, chercheurs et chercheuses, praticiennes et praticiens ont formulé l’idée de « classe flexible », à la suite de laquelle on peut se demander si le souffle d’un certain changement, celui d’une école à tendance séparatiste vers une école plus inclusive, ne passerait pas par une certaine matérialité. J’ai décidé d’aller y voir de plus près et de rencontrer deux enseignantes qui m’ont ouvert leur porte.

 

Plaisir et confiance

 

Un soir d’automne, j’entre dans la classe de Natacha et tout de suite mon regard est attiré par des ballons-sauteurs, des tabourets étranges, des assises particulières, rangés dans un coin. Puis j’aperçois des pupitres qui ressemblent plus à des guéridons ou présentoirs d’exposition. Ils sont légers et manipulables. Aucun n’est nominatif. Enfin, je remarque des casques antibruit, des indications de regroupements possibles et, un peu partout, des maximes encourageantes : « On a le droit de ne pas savoir, mais c’est trop bête de ne pas essayer », ou « C’est difficile, mais ce n’est pas impossible ». Je fais le tour, silencieuse et curieuse.

C’est au sortir du premier confinement ( fin mai 2020 ), que Natacha s’est lancée pour de bon. Enseignante en 5-6P depuis cinq ans, elle me raconte qu’elle en avait « marre du frontal », qu’elle avait l’impression de déverser son savoir. Elle a ressenti qu’il fallait qu’elle stimule autrement ses élèves que par un travail « par fiches ». Elle avait le sentiment que les élèves s’ennuyaient profondément avec cette façon d’enseigner. En les questionnant, elle a confirmé cette impression : ils·elles aiment jouer et être ensemble. Alors Natacha s’est mise au travail. Elle a convaincu son directeur de bien vouloir financer l’achat de matériel spécifique. Elle a également mis la main au portemonnaie. Sa nouvelle classe a pris forme en aout 2020. L’espace est ouvert et lumineux, un coin pour les affaires personnelles est réservé.

Nous nous asseyons, Natacha est tout sourire. Je lui demande de but en blanc : « Je vois que tu as mis beaucoup de soin dans l’aménagement de la classe, les aspects matériels et spatiaux me sautent au visage, qu’en est-il des apprentissages ? » Natacha m’explique comment fonctionne le système. Généralement, en entrant dans la classe, les élèves s’assoient où ils·elles en ont envie, chacun·e ou chaque groupe est conduit à réaliser une activité qui se décline sous la forme de jeux d’apprentissage ou d’exercices d’entrainement autocorrigibles. Les groupes et contenus d’ateliers sont soigneusement pensés en amont de la semaine. Les élèves passent d’un atelier à l’autre. « Cela prend beaucoup de temps de préparation », dit-elle, « mais j’ai beaucoup moins de corrections à faire ».

Quant à la question légitime du suivi des élèves, elle m’explique qu’elle coconstruit l’organisation du travail, elle discute, négocie, parle, échange avec elles et eux et tient une liste rigoureuse de l’avancée de ces dernièr·es dans les activités. Par ailleurs, une collègue qui s’est également « lancée » me montre les dernières évaluations de math qu’elle a corrigées. Elle indique que jamais les élèves n’avaient été si bon·nes.

« Et les parents ? », me risquai-je ... Sans aucune hésitation, les enseignantes répondent qu’ils sont ravis, bien qu’interrogatifs au début du projet. Plusieurs d’entre eux indiquent que les enfants écoutent mieux.

Ce qui change avant tout, termine Natacha, c’est la confiance retrouvée dans l’école.

 

Autonomie et liberté d’apprendre

 

Décor identique dans la classe de 6P de Laurence. Une classe relativement épurée : tables hyper légères et amovibles, un canapé, des tapis individuels empilés, des casques antibruit, des time-timer, une simple petite table en guise de bureau de la maitresse. Des messages encourageants, des systèmes de regroupements des élèves qui rendent visible le travail à mener.

Je passe l’après-midi dans la classe avec les élèves qui entrent, me disent bonjour et prennent leurs affaires pour se mettre immédiatement au travail. « C’est la routine », me dit un enfant. Je le questionne : « Comment sais-tu ce que tu dois faire ? » Il me montre un petit panneau affiché qui indique l’attribution des tâches. Tout se passe selon une chorégraphie bien maitrisée. Puis, Laurence sonne la fin de la routine, réunit les élèves et explique ce qu’ils et elles vont faire et apprendre durant l’après-midi. Elle attribue des rôles d’expert·es à certain·es enfants et permet à chacun·e de s’exprimer, poser une éventuelle question. « On privilégie la qualité plutôt que la quantité », indique-elle encore avant que toutes et tous se dispersent.

Deux élèves passent « une ceinture de compétences », sorte de test leur permettant de valider certains acquis. Ils me disent qu’ici c’est bien, car ils peuvent choisir ce qu’ils vont travailler, aller à leur rythme. « Je suis jaune en math.» Chaque couleur signifie une série de compétences acquises. Ils ajoutent : « On peut s’entraider et en plus on s’amuse en apprenant. » L’ambiance est sereine, le niveau de bruit gardé par un appareil qui mesure les décibels. Parfois l’enseignante recadre le collectif.

Laurence, qui enseigne depuis dix-huit ans, indique qu’elle a vécu une classe très difficile et a décidé de changer ses pratiques en cours d'année. La rentrée 2020 ne fut pas simple. Elle a investi dans du matériel de seconde main, réalisé quelques expérimentations. Puis, le soutien de la direction a permis l’extension du projet, également en partie financé par l’association des parents. Ces derniers ont dû être rassurés, indique Laurence. Actuellement « je transmets des notions que je ne transmettais pas auparavant, je suis à même d'approfondir les objectifs ». Elle fait référence à l’atelier portant sur les figures et solides. « Je parle de triangles équilatéraux ou isocèles ; je sens que les élèves ont envie d’apprendre. »

 

La flexibilité, c’est peut-être et avant tout dans la pensée des pédagogues

 

Alors qu’au fond de moi, j'étais hésitante quant aux conséquences de ces modes de pratiquer sur les élèves, sur leurs apprentissages, je dois concéder être frappée par le climat calme et serein qui se dégage à l’entrée de ces deux classes. Je suis également marquée par la confiance qui émerge des propos des enseignantes. Elles traversent, comme tout le monde, une période d’incertitude. Pourtant, elles acceptent la controverse et mes questions – elles m’expliquent avec précision ce qu’elles analysent, évoquent leurs doutes. Elles se disent toutes les deux plus proches de ce qui se passe, de comment les élèves apprennent. Elles remarquent toutes les deux des progrès chez chacun·e, tant dans la socialisation que dans l’autonomie, la collaboration, l’entraide que les élèves manifestent. Ils·elles sont plus heureux·ses ! Laurence termine : « J’ai beaucoup plus de satisfaction. Je vois s’améliorer les résultats scolaires. Je sais que je vais dans la bonne direction. »

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