Pressions sur le corps enseignant : ça suffit !

La profession enseignante est sans nul doute l’une des plus belles et nécessaires que notre société actuelle peut offrir. Accompagner un groupe d’élèves dans leur socialisation et leurs apprentissages permet de préparer celles et ceux qui feront vivre la société de demain. Une goutte d’eau dans l’océan, mais qui peut faire la différence dans la vie d’un jeune en plein développement.

Toutefois, cette profession, dont certain·es imaginent qu’elle est facile et jalonnée de très nombreuses vacances, peut aussi se révéler défiante, exigeante, perturbante même parfois, usant même les plus passionné·es de ses professionnel·les. Ceci est souvent dû aux trop nombreuses sollicitations, parfois contradictoires, dont est rempli notre quotidien.

Certaines pressions sont inévitables, malheureusement. Si leurs sources sont externes à l’école, si elles se situent dans l’évolution incontrôlable (incontrôlée) de la société, on peut trouver des moyens de les gérer, mais on ne peut pas les supprimer.

Trois risques d’auto-goal

Mais il y a aussi, et c’est regrettable, des situations où c’est le système scolaire qui, par des fonctionnements mal pensés ou mal gérés, met lui-même son personnel en danger. Puisque nous sommes au début d’une nouvelle législature, nous aimerions citer trois domaines dans lesquels notre école court un fort risque de « se mettre un auto-goal », sans nécessité arbitraire pourtant.

Premièrement viennent les pressions croissantes exercées par nos autorités pour développer une école plus inclusive. Certes, nous sommes tenu·es de permettre à chaque jeune de développer au mieux ses compétences et son potentiel personnel. Mais cela ne signifie pas que tous·tes les élèves doivent obligatoirement fréquenter les mêmes classes, sans distinction. À l’heure où les problématiques individuelles sont toujours plus présentes, où les suivis d’élèves deviennent de plus en plus compliqués, où certains comportements d’enfants même très jeunes se révèlent parfois insupportables, exiger que l’enseignant·e gère seul·e des groupes d’enfants trop hétérogènes relève de l’inconscience. La société nous demande de mieux intégrer les enfants aux profils compliqués ? Alors donnons à l’école les moyens de le faire, avant que les dégâts ne soient trop importants.

À chaque école sa filière bilingue dès 2027 ?

Un autre projet neuchâtelois, PRIMA, est lui aussi dans une phase dangereuse. En effet, l’obligation, fixée dans le concept cantonal des langues, d’instaurer dans chacune des treize écoles de notre canton une filière bilingue à partir de 2027, met une très forte pression sur les directions – lesquelles sont responsables d’organiser cela – et sur les enseignant·es chargé·es de mettre en œuvre l’enseignement de l’allemand en immersion. Et ceci, même si les collègues concerné·es ne possèdent pas les compétences nécessaires. Le SAEN soutient ce projet, mais refuse obstinément que des enseignant·es soient soumis·es à des pressions de la part de leurs autorités pour y entrer contre leur gré. Et s’il n’y a pas assez de personnes formées, motivées et compétentes pour développer le projet PRIMA ? Alors … repoussons sa mise en œuvre, tout simplement ! Il suffit pour cela de changer une seule ligne dans le règlement.

La matu en 4 ans dès 2032

Prenons enfin l’obligation fédérale d’instaurer une maturité en quatre ans dès 2032. Dans un premier temps, une large consultation avait montré une adhésion à l’idée d’un allongement des études (11 années d’école obligatoire et 4 années de lycée). Or, pour des raisons d’économies budgétaires, nos autorités souhaitent privilégier un « système mixte », qui ressemble furieusement à un 10+4 déguisé, lequel raccourcirait d’une année le cycle 3. Inévitablement, il y aura une forte pression sur les élèves pour intégrer la filière 10+4, et celle-ci sera tout aussi forte sur les enseignant·es qui devront assumer le programme de trois années scolaires en deux ans seulement.

Chi va piano va sano e lontano

Nous avons brièvement cité ici trois grands projets, mais il y en a d’autres. Chaque fois, les intentions sont excellentes, mais la concrétisation l’est moins, faute de moyens suffisants. Fatalement, on constate alors une hausse de la pression sur les directions, sur le corps enseignant, sans oublier les élèves et leur famille.

Comment sortir de ce cercle vicieux ? Soyons cohérents, tout simplement : adaptons nos projets à nos moyens, ou nos moyens à nos projets ! Comme le dit le vieil adage : Chi va piano va sano e lontano …

Pierre-Alain Porret, président du SAEN