Ich spreche français

Il fallait oser. Zurich l’a fait. D’un revers de manche parlementaire, le canton alémanique a décidé de repousser le français de l’école primaire en direction de l’école secondaire, comme on balaie un vieux manuel de conjugaison un peu trop exigeant. On repoussera donc Molière à plus tard – peut-être, si les élèves ont encore le courage – et on pourrait envisager de dérouler plutôt le tapis rouge à Shakespeare, dès les premières années. Welcome to Switzerland.

Zurich semblerait préférer l’anglais. Plus international, plus utile, plus chic, diront certain·es. Peut-être même moins dérangeant politiquement. C’est vrai que parler français, parler la langue de « l’autre », du voisin Welsche c’est risquer de comprendre les Romands, leurs revendications, leur attachement à la cohésion nationale. Apparemment tout un fardeau pour certain·es. 

Mais surtout, quelle belle leçon de fédéralisme ! Un canton qui piétine le consensus linguistique helvétique, qui sabre l’enseignement des langues nationales dans la plus grande indifférence. Et tant pis si cela viole l’esprit — et presque la lettre — du concordat HarmoS obtenu suite à de longues négociations. Après tout, pourquoi s’embarrasser d’un accord intercantonal, quand on peut faire cavalier seul au nom d’une efficacité douteuse ? Se séparer du français permettrait d’alléger le pensum des élèves, de renforcer les apprentissages fondamentaux en allemand et en mathématiques … Une vision bien réductrice de la formation globale de l’élève. 

Soyons clairs : ce choix politique est mortifiant. Cette décision est un affront pour les défenseur·es de l’unité fédérale, un affront pour toutes celles et tous ceux qui savent à quel point l’apprentissage précoce des langues forge la curiosité et la compréhension mutuelle. 

Cela pourrait même être considéré comme un affront aux élèves, à qui l’on refuse l’accès à une Suisse plurilingue, en les cantonnant à un monolinguisme fonctionnel et éventuellement anglo-compatible.

Nous ne sommes pas candides. Ce débat dépasse de loin une querelle de choix grammatical. Ce qui se joue ici, c’est notre projet national commun. Une Suisse où les langues nationales se répondent, s’apprennent et s’aiment. Une Suisse fragmentée, où l’on choisit la voix de l’économie au détriment de la compréhension du voisin.

Attaché aux valeurs qui sont les siennes, à la cohésion nationale, à cette possibilité de pouvoir échanger avec les collègues, ami·es en respectant les langues de chacun·e, le SER appelle à une réaction ferme et réfléchie en commun. Les élu·es doivent se positionner de manière claire. Le temps est peut-être venu de rappeler que l’école publique n’est pas un terrain d’expérimentation identitaire. Elle est le creuset de notre vivre-ensemble.

David Rey, président du SER