SEfFB: Langues à l’école : le français recule, le débat s’enflamme

Début septembre, le Parlement zurichois a décidé de repousser l’enseignement du français au secondaire, suivant ainsi la voie ouverte au printemps par Appenzell Rhodes-Extérieures. Dans plusieurs autres cantons alémaniques, différentes initiatives et motions remettent également en cause le frühfranzösich (apprentissage du français dès la 5e année du primaire). Vingt ans après l’accord national HarmoS, la promesse d’un apprentissage des deux langues nationales dès le primaire, semble vaciller. Les cantons romands, inquiets, redoutent le retour d’une barrière de roesti linguistique aux conséquences symboliques et politiques fortes.

 

Zurich au cœur d’un séisme symbolique

Le 1er septembre dernier, le vote du Parlement zurichois marque un tournant. Par 108 voix contre 64, Zurich, canton le plus peuplé et souvent moteur en Suisse alémanique, choisit l’anglais comme première langue étrangère et relègue l’apprentissage du français au secondaire.

La conseillère d’État en charge de la formation Silvia Steiner (Le Centre) avait pourtant mis en garde : sortir de ce modèle, c’est risquer de rompre avec l’accord HarmoS et de fragiliser la cohésion du pays. Mais la majorité parlementaire de droite a suivi l’argument d’une surcharge scolaire et d’un enseignement jugé peu efficace face à une langue perçue comme « difficile ». 

Comme le rappelait le libéral-radical zurichois Marc Bourgeois dans le Tages Anzeiger du 3 septembre, « ce sont douze cantons sur dix-neuf qui ont entamé des démarches contre le frühfranzösich », donnant la mesure d’un mouvement bien plus large que celui du seul canton de Zurich. 

C’est dans la partie ouest de la Suisse que le rejet du français est le plus fort (Appenzell Rhodes-Extérieures, Thurgovie, St-Gall, Schaffhouse et Nidwald).

Promesses de 2004, réalités de 2025

Lorsque la Conférence des directeurs de l’instruction publique (CDIP/EDK) a adopté sa stratégie linguistique en 2004, l’idée paraissait ambitieuse et consensuelle : donner à chaque élève une ouverture sur l’anglais et sur une langue nationale dès le primaire. L’accord HarmoS a ancré ce principe en 2007. Les arguments en faveur de ce compromis étaient triples : renforcer la cohésion nationale en favorisant la compréhension mutuelle, offrir un avantage cognitif et linguistique en commençant tôt l’apprentissage d’une langue nationale et préparer les jeunes à une économie mondialisée. Or, vingt ans plus tard, force est de constater que la réalité est plus contrastée.

Si certain·es pointent une charge excessive pour les élèves avec deux langues étrangères en parallèle, le français souffre aussi d’une image de langue difficile, face à l’anglais qui est plus présent dans la culture des jeunes (et des adultes). 

À cela s’ajoute la pénurie d’enseignant·es de français qualifié·es, ce qui pèserait sur la qualité des enseignements dispensés. La récente publication des résultats de l’enquête nationale sur les compétences fondamentales a encore rajouté du scepticisme et a relancé de plus belle les débats dans plusieurs cantons. En effet, près d’un·e élève sur cinq n’atteint pas les objectifs fixés en allemand, la langue de scolarisation. Ces résultats ont nourri les partisan·es d’un recentrage sur les bases, au détriment du plurilinguisme.

Un débat émotionnel en Suisse alémanique

Si cette actualité suscite tant de remous, c’est parce qu’elle touche à plusieurs dimensions sensibles en commençant par celle des priorités scolaires. En effet, beaucoup d’élu·es défendent l’idée que l’école primaire doit, avant tout, consolider les compétences de bases (maitrise de l’allemand, de la lecture et des mathématiques) avant d’introduire plusieurs langues étrangères. Vient ensuite l’utilité perçue entre l’anglais et le français. Dans le quotidien des familles, l’anglais est très présent et il incarne des opportunités professionnelles et internationales, là où le français parait plus éloigné, surtout pour les régions qui n’ont pas de frontières linguistiques avec les cantons francophones. L’argument de la cohésion nationale est rappelé et aussi entendu dans les différents cantons alémaniques, mais, il pèse souvent moins lourd que certaines considérations plus politiques que pédagogiques. Il est intéressant de relever que, paradoxalement, c’est du côté francophone qu’on trouve les plus fervent·es défenseur·es de la cohésion nationale ; en effet, en Romandie, on n’hésite pas à rappeler que le plurilinguisme est le ciment du pays. 

Un nouveau Röstigraben ?

Les symboles comptent : le français, langue fédérale et diplomatique, risque de devenir secondaire dans l’équilibre suisse. Le souvenir d’une « barrière de roesti linguistique » ressurgit, dans un contexte où la cohésion politique et nationale est déjà mise à l’épreuve sur de nombreux autres dossiers. La remise en cause du frühfranzösisch ne relève plus de simples ajustements pédagogiques : elle questionne le contrat fédéral implicite selon lequel chaque élève devrait avoir accès à au moins deux langues nationales dès l’enfance. Pour les cantons francophones et bilingues, le signal est très préoccupant.

Entre une pseudo efficacité scolaire et la cohésion nationale, le balancier penche aujourd’hui dangereusement vers la première. La Romandie, inquiète, rappelle qu’un pays plurilingue ne peut se réduire à des logiques utilitaristes. Le débat ne fait que commencer et il touchera inévitablement les enseignant·es qui devront continuer de jongler entre les ambitions politiques et les réalités pédagogiques.

Silvie Devincenti, GL Formation Berne