Entre espoirs, doutes, désillusions et le sentiment d’être investie d’une mission, cet article a pour objectif de partager mon expérience lors de ma première rentrée dans un gymnase vaudois en tant que jeune enseignante.
Arlinda Ramqaj est enseignante d’anglais au secondaire II. En marge de son activité professionnelle, elle s’engage auprès du SDG4 Youth & Students Network, un réseau de jeunes défenseur·es de l’ODD 4 de l’UNESCO. Elle fait notamment partie d’un groupe de travail sur l’éducation à la durabilité. Animée par sa passion pour les causes liées à l’éducation et au droit humain, elle s’engage à former des citoyen·nes du monde informé·es, autonomes et socialement responsables.
La cafétéria du gymnase, où se tient l’accueil des nouveaux·elles élèves, se remplit doucement. Ils et elles prennent place face à la direction et aux enseignant·es. Sourires en coin, clins d’œil, accolades et plaisir de retrouver des connaissances se mêlent à quelques regards plus dubitatifs, mesurant peut-être ce qui est sur le point de commencer. Tous et toutes attendent le fameux discours de la rentrée.
« Bienvenue à vous. Vous entrez au gymnase. Vous jouez désormais dans la cour des grands. » Ces mots, destinés aux élèves, résonnent aussi en moi, car ce n’est pas seulement leur rentrée, c’est aussi la mienne, mon entrée dans cette nouvelle réalité qui me semblait encore bien lointaine il y a quelques mois.
Aussi longtemps que je me souvienne, je n’ai jamais envisagé exercer un autre métier que celui d’enseignante. Des maitres et maitresses de mes premières années à mes enseignant·es du secondaire et à mes professeur·es à l’université, j’ai toujours admiré et été inspirée par ces personnes dont la profession me fascinait. Comme un appel à refléter ce que le monde a à nous transmettre, j’ai très vite ressenti le besoin de contribuer à mon tour à la formation des générations à venir. L’école ne m’a pas toujours paru rose, mais je l’ai constamment considérée comme un espace d’émancipation, vecteur de transmission et porteur des valeurs essentielles pour grandir. Pour moi, enseigner est une vocation.
Mais durant ma formation en pédagogie, et notamment après l’obtention de mon diplôme, cette conviction s’est heurtée à une réalité plus rugueuse que je n’avais imaginée. Armée de compétences pédagogiques et didactiques, et de motivation, je pensais, sûrement naïvement, que je trouverais immédiatement un poste dans l’enseignement … Comme pour de nombreux·ses enseignant·es en dernière année de formation ou fraichement diplômé·es, surtout au secondaire II, j’ai vite découvert que le marché du travail était très compétitif et qu’il ne nous ferait aucune faveur. De là commencèrent les candidatures à la chaine dans l’espoir de pouvoir rejoindre une école, un gymnase, ou un centre professionnel pour y gagner de l’expérience et idéalement m’y faire une place sur le long terme.
Ce qui m’a frappé durant cette période, c’est le manque de nuance par rapport au discours officiel qui exprime qu’il y a une pénurie d’enseignant·es face à un terrain où il est difficile de décrocher un poste. S’il est vrai que dans certaines disciplines le besoin est réel, dans d’autres, comme pour l’anglais, la situation est bien différente.
Après des mois d’incertitude et d’attente, le moment de recevoir une réponse positive arrive enfin, un soulagement de courte durée, notamment lorsqu’on obtient un ou plusieurs contrats à durée déterminée, à des taux variables, jonglant parfois entre plusieurs sites. La stabilité professionnelle que procurent les CDDs n’est que de courte durée, la question de savoir à quand le prochain poste et où je serai l’année prochaine demeure constante.
À cette précarité s’ajoute l’opacité de la gestion administrative des contrats de travail. D’abord désignée comme enseignante, j’ai été surprise de découvrir que les contrats n’arrivaient que plusieurs jours, voire semaines, après le début du travail. Je commençais donc à enseigner sans contrat de travail, ce que je percevais comme une insécurité juridique et financière. J’ai également été frappée par l’absence d’accompagnement institutionnel des enseignant·es débutant·es dans ces démarches. Les explications sont lacunaires, les séances d’information existent, mais ne sont que rarement relayées et les règles ne sont jamais explicitement posées. Les bribes d’information, souvent des bruits de couloir teintés de vérité, ne font que s’ajouter à ce flou administratif dont beaucoup semblent être au courant, mais peu sont pressé·es de le changer.
Je reviens à mon présent. Mon nom est appelé. Ma classe se lève et me rejoint. Je prends une grande inspiration, et les pensées du passé disparaissent doucement. Je me recentre, je suis là où je dois être aujourd’hui.
Bientôt, d’autres défis se présenteront comme la gestion de classe, savoir répondre aux imprévus ou trouver mon équilibre professionnel, mais à ce moment ce qui m’importe c’est d’apprendre à connaitre mes élèves, leurs forces et leurs doutes, de les accompagner au mieux et de construire un espace d’apprentissage bienveillant tout au long de l’année. Une nouvelle aventure commence « dans la cour des grands ».
Arlinda Ramqaj