À l’heure où Le Courrier publie « une éducation qui discrimine et exclut » (28.02.25, Louis Viladent), informant de la décision du canton de Genève d’instruire les enfants en situation de migration au sein même des centres d’accueil fédéraux (CFA), il est plus que temps de remettre au cœur de nos actions éducatives nos pratiques de luttes contre toute forme d’exclusion scolaire.
Clothilde Jouzeau propose une vision de l’école où la coéducation participative joue un rôle central. En intégrant les parents dans le processus éducatif, en valorisant leurs savoirs et savoir-faire, et en faisant de la classe un espace de partage des cultures familiales, l’école devient un lieu de vie inclusif.
Par ailleurs, le GREN – Groupe romand d’Éducation nouvelle – organise une soirée-débat le 13 mai prochain pour réfléchir à l’impact de l’éducation sur nos démocraties. En s’appuyant sur une conférence de Philippe Meirieu, cet évènement vise à discuter des pratiques pédagogiques qui favorisent la pensée critique et l’émancipation des élèves. (voir ci-contre)
Chères ami·es vaudois·es, osons traverser la frontière, rencontrer les gens du bout du lac. (sb)
L’école est trop souvent encore pensée comme un sanctuaire, un lieu de transmission de savoirs et connaissances reconnus, communément admis et actés dans des manuels. « L’École traditionnelle, basée notamment sur la culture adulte, sur les manuels d’adultes et les textes de grands écrivains, avec une philosophie, un rythme et une pensée qui sont l’honneur peut-être de l’Université française, mais qui ne sont ni à la mesure de nos élèves ni de leur milieu, cette école, anachroniquement aristocratique, n’était pas du tout intégrée à la vie du peuple. (…) Nous ne croyons pas exagérer en disant qu’il y avait d’un côté le peuple, la vie, et de l’autre l’École 1. » L’Éducation Nouvelle repense la transmission des savoirs. Ils ne sont plus une vérité assénée, l’enseignant·e n’est pas dans la « toute-puissance ». Il est des domaines dans lesquels il·elle ne sait rien, certains qu’il·elle découvre à peine, d’autres qu’il·elle ignore. Il·elle ne cherche pas à imposer une culture, mais à éveiller la curiosité de ses élèves, leur permettre de coconstruire de nouvelles connaissances, de nouveaux savoirs et savoir-faire. L’enseignant·e est alors disposé·e à inviter l’enfant et son environnement proche à faire une place aux cultures familiales en classe.
La coéducation participative consiste à inviter les parents volontaires à partager des savoirs et savoir-faire sur des temps scolaires et à intégrer ces activités aux progressions scolaires. Ainsi, à titre d’exemple, dans le fil d’ateliers de calligraphie chinoise animés par un parent, les élèves apprennent une autre tenue de l’outil scripteur, une autre forme d’encodage et débattent de la signification d’associations de certains signes. Ces nouvelles connaissances sont enrichies par des ateliers de calligraphie en arabe, en cyrillique … une recherche des pays sur la mappemonde, une écoute des langues, des sonorités, des traditions et une observation de certains lieux typiques viennent en complément. Il est important que ces ateliers soient menés par les familles dont c’est la culture et non par l’enseignant·e. Lorsque l’on enquête sur l’agriculture, donner la parole à celles et ceux qui vivent de la terre est tout aussi riche. Il est important d’inviter les cultures orales, de valoriser le conte, les chants, et de ne pas stigmatiser les parents non-lecteurs ou allophones. Aussi, proposer la mise en place d’ateliers d’écoute et de pratique musicale animés par des parents qui ne maitrisent pas la langue de scolarisation, permet de valoriser certaines mères qui se tiennent souvent en retrait de cette école qu’elles ne connaissent pas et dans laquelle elles ne trouvent pas leur place. Ces ateliers de nature diverses sont des leviers. Non seulement cela consiste à reconnaitre tous les savoirs et savoir-faire, sans les hiérarchiser, mais cela permet aux parents d’être reconnus comme des éducateurs à part entière par l’institution scolaire. Cela a pour conséquence d’autoriser implicitement les élèves à porter un autre regard sur leurs parents, et ainsi, de les libérer du conflit de loyauté dans lequel ils·elles étaient parfois enfermé·es.
S’autoriser à donner la parole aux familles pour partager leurs cultures octroie aux différences le statut de richesses à partager. L’« école nouvelle », en favorisant ces formes d’échanges, est un lieu de vie dans lequel vivre ensemble n’est pas un vain slogan. L’école qui fait de la place aux cultures familiales est un espace de coconstruction de nouveaux savoirs. La coéducation participative favorise une culture commune à l’échelle de la classe, de l’école, du quartier …
Clothilde Jouzeau
1 C. Freinet, 01/1947, l’Educateur N°8, www.icem-pedagogie-freinet.org/node/44589