Dans une classe du canton, je rends visite à une enseignante et ses élèves. Ils et elles travaillent à partir de livres francophones et les élèves ont pour tâche de traduire ces derniers dans leur langue natale. Il est question d’un Inuit qui observe la terre glacée devant lui. Merhawit vient du nord de l’Éthiopie. Elle parle le tigrinya. Plutôt bien d’ailleurs. Mais elle est incapable de traduire ni le mot « glace », ni « gel ». L’enseignante propose une discussion à propos de ces termes qui n’ont pas d’équivalents dans nos langues natales. « C’est normal », rétorque Amadou, malien d’origine : « ça n’existe pas la glace chez nous ! »
Ce qui n’existe pas, ne s’énonce pas. Et l’inverse ?
L’administration Trump souhaite prouver que l’inverse est vrai. Ce qui ne s’énonce pas, n’existe pas. Comment s’y prend-elle ? Après une gouvernance par décrets, la nomination de certaines personnes aux postes clés, après la soumission de la justice au politique, voici venue la purge des mots et la reformulation de l’histoire.
Une purge des mots et des images
Depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, 26’000 documents ont été supprimés sur le site internet de l’armée américaine (source : radiofrance, 12 mars 25). Plus de noirs, plus de femmes, plus de gays. Le slogan asséné par Pete Hegseth, nouveau secrétaire de la défense, ancien animateur de Fox News, au comportement agressif envers les femmes, est éloquent : « Notre force est l’unité », affirme-t-il au détriment du slogan qui prévalait jusque-là : « Notre diversité est notre force ».
« Le plus intéressant est ce que cette liste nous dit du logiciel idéologique du musko-trumpisme : un masculinisme raciste, sexiste, transphobe, suprémaciste et climaticide qui se moque des inégalités sociales et de leurs conséquences économiques et communautaires, tout en étant antiscience et pro-ingénierie. » (Le Courrier, 24 mars 2025)
Ce que cela devient concrètement ?
On ne parle plus de la moitié féminine du monde, des personnes appartenant à la communauté LGBTQIA+. On ne parle plus des communautés noires ni des latinos (termes employés aux USA), d’inégalité, d’iniquité. On ne parle plus d’accessibilité (fini les rampes d’accès pour les fauteuils roulants ?). On ne parle plus d’identité, de culture, d’histoire. On ne parle plus d’idéologie, d’appartenance ou d’inclusion. On ne parle plus d’écologie ni de climat. On ne parle plus de sexe tarifé (ce qui doit bien arranger Trump), ni de sexe tout court. Quelle ironie pour le soi-disant pays de la liberté d’expression.
Pour clarifier encore, voici un rapport du Head Start (programme du département de la santé, de l’éducation et des services sociaux, destiné à enrayer la pauvreté systémique aux US), datant de 2021 :
« L’année dernière, le personnel de Head Start a été confronté à d’importants défis. L’ensemble du personnel a été touché par le Covid-19. C’est pourquoi les services de santé publique s’engagent à mettre en place une culture du bien-être qui inclut un soutien holistique à l’ensemble du personnel du programme Head Start ».
Voici le (même) texte originel, sans effacement (traduit avec deepl.com). En rouge, les éléments effacés dans la version trumpiste :
« L’année dernière, le personnel de Head Start a été confronté à d’importants défis. La pandémie de Covid-19 a eu un impact disproportionné sur les communautés défavorisées, dont beaucoup sont desservies par les programmes Head Start. L’injustice raciale dans notre pays a également fait l’objet d’une attention accrue, ce qui a conduit à des appels à des réformes majeures pour remédier à des inégalités sociétales de longue date. Il s’agit là de préoccupations particulièrement importantes pour les services de santé publique et le personnel du programme Head Start. L’ensemble du personnel a été touché par le Covid-19. En outre, 60 % du personnel enseignant du programme Head Start sont des Noirs, des autochtones et des personnes de couleur, et 30 % ont une langue principale autre que l’anglais. C’est pourquoi les services de santé publique s’engagent à mettre en place une culture du bien-être qui inclut un soutien holistique à l’ensemble du personnel du programme Head Start. »
Et encore : c’est avec joie que l’on peut apprendre sur le site de la National Science Fondation, quelles sont les nouvelles règles en la matière. On n’est pas loin de l’agence de surveillance.
La suite ?
On peut l’imaginer : on refait les manuels d’histoire, on coupe les subventions aux populations défavorisées (qui n’existent plus), on baisse les salaires des profs (déjà peu mirobolants), on retravaille la vérité « c’est l’Ukraine qui a commencé » ; « les Haïtiens mangent des chats », on censure les journalistes, on intimide les étudiant·es, on fait taire les chercheur·es (en coupant les subventions, en contrôlant leurs mots), on supprime le ministère de l’éducation (Education Department).
J’ai envie de vous dire : « On y est les gens ! Si vous vous demandez comment les dictatures s’installent, vous avez la réponse ». Nous avons basculé. Préparez-vous à chuchoter 1 les interdits, afin qu’ils survivent à l’hiver étatsunien ainsi qu’à la déferlante néofasciste qui a progressivement germé ces dernières années.
Est-il trop tard pour s’indigner ? Oui.
Est-il trop tard pour résister ? Non, c’est le temps et ça commence ici, par vous, par moi.
Est-il trop tard pour agir ? Non, c’est le temps et ça commence ici, par vous, par moi.
Il va sans dire qu’il y a urgence démocratique, n’en déplaise aux trumpo-musko-mélonio-orbano-erdogano-putino et autres oligarchos !
Sandrine Breithaupt
1 En référence à: Orlando Figes. Les Chuchoteurs : Vivre et survivre sous Staline (2009).
Un blizkrieg lexical – Voici aujourd’hui, les mots bannis :
accessible
activism
activists
advocacy
advocate/s
affirming care
all-inclusive
allyship
anti-racism
antiracist
assigned at birth
assigned female at birth
assigned male at birth
at risk
barrier/s
belong
bias/es
biased
biased toward
biases towards
biologically female
biologically male
BIPOC = « Black,
indigenous and people
of color »
Black
breastfeed + person/people
chestfeed + person/people
clean energy
climate crisis
climate science
commercial sex worker
community diversity
community equity
confirmation bias
cultural competence
cultural differences
cultural heritage
cultural sensitivity
culturally appropriate
culturally responsive
DEI « Diversité, équité, inclusion »
disabilities
disability
discriminated
discrimination
discriminatory
disparity
diverse
diverse backgrounds
diverse communities
diverse community
diverse group/s
diversified
diversify
diversifying
diversity
enhance/cing the diversity
environmental quality
equal opportunity
equality
equitable
equitableness
equity
ethnicity
excluded
exclusion
expression
female
females
feminism
fostering inclusivity
gender
gender based
gender based violence ou GBV
gender diversity
gender identity
gender ideology
gender-affirming care
genders
Gulf of Mexico
hate speech
health disparity
health equity
hispanic minority
historically
identity
immigrants
implicit bias
implicit biases
inclusion
inclusive
inclusive leadership
inclusiveness
inclusivity
increase diversity
increase the diversity
indigenous community
inequalities
inequality
inequitable
inequitiy/es
injustice
institutional
intersectional
intersectionality
key groups
key people
key populations
Latino
LGBT
LGBTQ
marginalize/d
men who have sex with men
mental health
minorities
minority
most risk
MSM « méthyl-
sulfonyl-méthane » ou hommes ayant des rapports avec des hommes
multicultural
Mx
Native American
non-binary
nonbinary
oppression
oppressive
orientation
people + uterus
people-centered care
person-centered
person-centered care
polarization
political
pollution
pregnant people
pregnant person/s
prejudice
privilege
privileges
promote diversity
promoting diversity
pronoun
pronouns
prostitute
race
race and ethnicity
racial
racial diversity
racial identity
racial inequality
racial justice
racially
racism
segregation
sense of belonging
sex
sexual preferences
sexuality
social justice
sociocultural
socioeconomic
status
stereotype
stereotypes
systemic
systemically
they/them
trans
transgender
transsexual
trauma
traumatic
tribal
unconscious bias
underappreciated
underprivileged
underrepresentation
underrepresented
underserved
undervalued
victim
victims
vulnerable populations
women
women and
underrepresented