Filière bilingue – Un modèle unique

La filière bilingue (FiBI) à l’école obligatoire à Bienne connait un immense succès, malgré de nombreuses réticences initiales.

« Le modèle biennois est unique en Suisse », s’enthousiasme l’ancien conseiller municipal biennois en charge notamment de la formation, le socialiste Cédric Némitz (de 2013 à 2020). S’il avait largement contribué à la mise en forme de la filière bilingue dans l’école obligatoire, il tient cependant à rappeler que le projet qu’il qualifie de « visionnaire » avait été lancé par son prédécesseur Pierre-Yves Moeschler, lui aussi socialiste.

Le bilinguisme biennois est unique en Suisse, dans le sens où la règle locale veut que chaque personne parle dans sa langue d’origine (allemand ou français) et comprenne ensuite son interlocuteur, peu importe dans laquelle langue cette personne s’exprime. Ce système fonctionne (plutôt) bien dans les commerces, aux loisirs, dans les places de travail ainsi qu’au bistrot. Pourquoi ne pas l’étendre à l’école obligatoire ? « L’idée était séduisante, mais les résistances furent assez nombreuses », se souvient Cédric Némitz. Le premier obstacle à franchir fut le canton qui craignant de s’engager dans une petite révolution. En particulier car Berne, canton bilingue, propose deux plans d’études : le Lehrplan alémanique et le Plan d’études romand (PER). « Or ceux-ci contiennent pas mal de différences », souligne Cédric Némitz. Comment réussir dans ces conditions à proposer un enseignement bilingue tenant compte de ces différences ? « Il a fallu faire preuve de souplesse et d’imagination ! »

Autre obstacle à franchir : les réticences initiales d’une partie du corps enseignant. « Il y en avait deux », poursuit Cédric Némitz. « Certaines personnes craignaient que la filière bilingue soit élitiste, car réservée aux «  bons élèves  ». Autre peur : que les élèves soient certes capables de parler le français et l’allemand, mais sans maitriser correctement aucune des deux langues. » Dernière inquiétude : Bienne est une ville qui compte de nombreux·ses enfants allophones. « Or pas mal d’entre eux entrent à l’école obligatoire sans être capables de parler aucune des deux langues locales officielles. »

Un défi motivant

Au fil des ans, cette dernière crainte semble s’être vite dissipée, car nombre de ces enfants allophones avaient déjà l’habitude de s’exprimer dans le cadre familial dans plusieurs langues. « En ce sens, leur intégration dans la filière bilingue fut moins problématique que redoutée », poursuit Cédric Némitz. Lequel poursuit en souriant : « Comme l’enseignement dans la filière bilingue repose sur une base volontaire, de plus en plus d’enseignantes et d’enseignants ont fait part de leur intérêt. Le défi s’est relevé motivant. » Car pour enseigner dans la filière bilingue biennoise, pas besoin de maitriser nécessairement les deux langues, puisque chacune et chacun dispense ses leçons dans sa propre langue. « Mais cela est assez exigeant, puisqu’il faut encore une fois tenir compte des plans d’études différents et surtout donc être capable d’échanger avec des collègues de l’autre langue. »

Créée en 2010, la filière bilingue biennoise compte actuellement plus de 300 élèves réparti·es dans seize classes des degrés 1 à 11 HarmoS. Ils et elles sont encadré·es par une équipe d’une quarantaine d’enseignantes et d’enseignants. L’enseignement est donné à 50 % en français et 50 % en allemand. Dès le début de leur scolarité, les enfants sont au contact des deux langues et cultures. L’apprentissage de l’allemand et du français se fait simultanément, tant à l’oral qu’à l’écrit. Chaque classe est composée d’élèves germanophones, francophones et allophones. Les enfants avec des besoins particuliers sont intégré·es au sein de la FiBi comme dans les autres écoles publiques. 

L’offre est loin de répondre à la demande des élèves et de leurs parents, puisqu’actuellement, une seule école propose cette filière. « L’idéal serait bien sûr de pouvoir proposer une FiBi dans chaque quartier de Bienne », poursuit l’ancien responsable de la formation biennoise. « Je sais même que des familles ont spécialement déménagé à Bienne dans l’espoir d’inscrire leurs enfants dans la filière bilingue ! »

Un projet à pérenniser

Le modèle biennois est-il transposable ailleurs, notamment dans le Jura bernois ? Cédric Némitz émet quelques doutes. « D’une part, car je ne suis pas sûr qu’il existe dans le Jura bernois une demande suffisante. Et surtout, une telle idée se heurterait à des réticences politiques. Car y ouvrir une filière bilingue reviendrait à sous-entendre que le Jura bernois est bilingue. Or cette région a un statut francophone. »

Malgré son succès, l’avenir de la filière bilingue au niveau de la scolarité obligatoire n’est pas ancré dans le marbre, car officiellement, la FiBi est toujours un projet-pilote. Le gouvernement, puis le parlement bernois devront bientôt se prononcer pour la pérenniser. Avec sans doute l’appui de Formation Berne qui « soutient la promotion du bilinguisme, que ce soit sous la forme de filières (à Bienne ou entre la PH Bern et la HEP BEJUNE), soit en termes d’échanges linguistiques, et se positionne clairement pour l’apprentissage respectivement de l’allemand et du français comme L2. »

Mohamed Hamdaoui