Depuis quelques semaines, le sujet des médicaments à l’école fait débat.
Nouvelle démarche
En effet, le Service de la santé publique (SSA) a souhaité « s’aligner sur la loi fédérale du 15 décembre 2000 sur les médicaments et dispositifs médicaux (Lpth 1) 2 ». Une séance entre les directions du secondaire I, le Service de l’enseignement (SEN) et le médecin cantonal, le Dr Matthieu Vermeille, a eu lieu en fin d’année passée pour préciser les pratiques admises par le SSA. Les directions d’école primaire et le corps enseignant ont été informés en début d’année.
Lettre aux parents
Une lettre du médecin cantonal datée du 6 février a été transmise aux parents avant les vacances de la semaine blanche pour clarifier ce cadre. Celle-ci précise que la loi fédérale « ne permet pas aux enseignants de donner des médicaments aux élèves » et que c’est aux parents de « fournir une pharmacie personnelle prescrite par le médecin traitant » si leur enfant devait prendre un médicament pendant le temps scolaire.
Cette pharmacie personnelle individualisée devra contenir « uniquement des médicaments répondant à des besoins médicaux spécifiques et documentés, prescrits par le médecin traitant ou le pédiatre. Il n’y a pas d’exception. […]. En aucun cas le contenu ne peut être utilisé par une autre personne ». Cette boite robuste devra contenir le nom complet de l’enfant, sa date de naissance, son poids, les coordonnées lisibles du médecin traitant, ainsi que l’ordonnance lisible ad hoc prescrite avec la posologie et uniquement les médicaments prescrits, sans exception. Pour les maladies chroniques, le médecin traitant devra remplir un protocole de besoins de santé particuliers (PBSP) dont le formulaire et les démarches devraient être précisés prochainement et mis en ligne sur le site www.jura.ch/santescolaire. Le médecin cantonal précise encore qu’en cas de plainte de santé soudaine (des douleurs, de la fièvre ou autre), « les parents seront rapidement avertis et que l’enfant restera sous la surveillance de l’école jusqu’à ce que les représentants de l’autorité parentale viennent le chercher. En cas d’urgence vitale, une centrale de sauvetage secours sera appelée avant » et que « ces règles s’appliquent aussi lors des sorties scolaires et camps ». Le corps estudiantin a reçu la même missive, mais datée du 7 février, à l’exception de la mention faite concernant la plainte de santé et l’annonce faite aux parents.
Judiciarisation
Qu’on le veuille ou non, l’école n’échappe pas à une forme de judiciarisation ou de mise à ban sur la place publique. En cela, la démarche du médecin cantonal de clarifier les rôles des uns et des autres est salutaire. En effet, la mesure, selon son ministre de tutelle, « ne remet aucunement en question les compétences de notre corps enseignant. Au contraire, elle vise à le protéger juridiquement dans l’exercice de ses fonctions, tout en garantissant la sécurité de nos élèves » 2. La transmission verticale du message impose une seule voie de traitement des cas sans prendre en compte la réalité du terrain. Une réelle coordination entre les trois services, SSA, SEN et SFP serait nécessaire pour aboutir à des solutions concertées au bénéfice des élèves et du corps estudiantin avant tout. Si « les enseignants ne sont pas aptes à administrer des médicaments aux élèves 4 » et qu’il est nécessaire de les protéger juridiquement, il serait opportun de ne pas reporter cette responsabilité sur les enfants ou jeunes entre eux. Il existe un réel danger que les enfants s’échangent des comprimés sans maitriser les risques que cela représente. L’automédication entre pairs représenterait alors un risque sanitaire réellement problématique avec une opacité complète concernant la posologie et la prise en charge.
Il est bien sûr évident que ce n’est pas le rôle du corps enseignant de remettre des médicaments aux élèves ou au corps estudiantin. Une table ronde entre les partenaires, y compris les parents, semble nécessaire afin d’éviter d’échanger une pratique par une plus mauvaise.
Combien d’élèves sont parti·es en sortie scolaire ou en camp en étant fiévreux·ses et couvert·es par un comprimé de paracétamol ? Bien que la pratique soit discutable, elle reflète une réalité. Coincé·e sur une montagne de Suisse centrale, l’enseignant·e appelait les parents pour convenir d’une prise en charge. Combien de fois l’enfant avait lui-même, elle-même un comprimé dans sa poche remis par les parents pour le prendre avec le repas de midi ? Le corps enseignant a suffisamment de tâches à assumer pour ne pas revendiquer des compétences médicales ou la prescription de médicament, bien au contraire. Cette situation d’exemple représentait une réalité qui permettait aux parents de déléguer à l’enseignant·e la surveillance de la prise de médicament et son suivi.
D’après le courrier du SSA adressé aux parents, cette pratique coordonnée sera donc interdite. La différenciation entre bobologie et prise en charge médicale méritera une distinction très claire de ce qui est peut-être attendu lorsqu’on encadre des jeunes sans être professionnel·le de santé. Cela sera-t-il aussi appliqué à tous les domaines (crèches publiques, crêches à domicile, groupe de jeunes, camp J+S) ? Un avis de droit sera-t-il nécessaire pour fixer une limite entre bobologie et médecine ? Comment prendre soin de personnes confiées en se protégeant soi-même et les autres juridiquement ? Il est courant dans le milieu du droit, de dire « deux avocats, trois avis ». Sur cette thématique, les juristes du TCS ont eux aussi leur avis, « en principe, un enseignant ne peut pas donner de médicaments aux enfants, sauf s’il s’agit de médicaments en vente libre. Avec l’accord des parents, l’enseignant peut également administrer d’autres médicaments 3 ».
Médicalisation
Dans Le Quotidien jurassien du 26 février dernier, le médecin cantonal précisait que « le contenu des nouvelles trousses de secours permettra les premiers soins courants : plaies superficielles, contusions, brulures légères et extraction d’échardes. Cette approche minimise les risques d’effets indésirables 2 ». Cette précision est bienvenue, car durant ces dernières semaines, des informations contradictoires circulaient.
Le canton de Vaud dans ses recommandations générales 5 pour les premiers secours et premiers soins en milieu scolaire (éditées en 2017 et mises à jour en 2023) fait la distinction entre premiers soins (bobologie), premiers soins avec consultation médicale et premiers secours. Ces recommandations 5 admettent sensiblement le même protocole que celui en cours d’élaboration dans le Jura, au détail prêt que le paracétamol est admis lors de camps et sorties scolaires (Panadol®, Dafalgan®, Ben-U-ron®, Acetalgin®). Un questionnaire est rempli par les parents avant le camp. Les parents sont appelés avant toute administration et un protocole est validé (une seule dose avant l’avis d’un·e professionnel·le de la santé, main courante médicale). Le canton de Vaud a également rédigé un schéma décisionnel 6 qui pose également la responsabilité des transports pour un retour à domicile ou vers du personnel de santé.
Lors de camp J+S, une fiche personnelle 7 remplie par les parents renseigne sur la prise de médicaments ou non et sur l’autorisation de donner un antihistaminique. Une coordination entre les cantons semble donc nécessaire pour avoir un message clair et permettre une compréhension unifiée des conditions. Entre judiciarisation et médicalisation, il faudra assurément définir un certain nombre de balises, notamment en cas d’épidémie 8 ou de transports simples ou multiples (par exemple, de Zinal à Sion à 1h du matin quand aucun transport public ne serait accessible).
Bon sens
Et si la solution était le bon sens ? Mais le bon sens, d’un point de vue médical, juridique, parental ou administratif ne s’apprécie pas de la même manière. Il semble donc urgent de réunir les parties pour définir un plan d’action concerté pour éviter de mettre le corps enseignant, les parents et surtout les élèves dans une situation schizophrénique de double contrainte. Même si la santé est une affaire personnelle, rappelons que le PER, dans le domaine de la Formation Générale en Santé et bien-être, précise comme objectif scolaire de répondre à ses besoins fondamentaux par des choix pertinents en repérant des conduites à risques (liées à des situations routières, de dangers, de violence, …) et en cherchant des réponses appropriées (FG 12), en identifiant des situations à risque pour soi et les autres (FG 22), en prenant conscience des conséquences de ses choix personnels sur sa santé (32). Reste aujourd’hui à celles et ceux chargé·es de mettre en place des conditions propices à leur développement, de leur en donner les moyens. La relation entre le corps enseignant et le corps estudiantin est un travail de confiance qui se construit au long cours. Mettre les uns et les autres dans une interdiction réciproque les responsabilisera certainement, mais ne permettra aucune nuance. Il s’agit donc « d’établir un cadre qui sécurise tant les élèves que les enseignant 1 » comme expliqué par le médecin cantonal. Pour cela, il faudra établir les limites de la Ltdh 1, définir ce qu’on attend des uns et des autres raisonnablement (bobologie, prescription médicale par une garde téléphonique ou parentale, sécurité des médicaments personnels, transports, limite juridique) et quel principe de proportionnalité est appliqué par les autorités.
Pour toutes ces raisons, le SEJ a pris contact avec le SEN et le médecin cantonal afin de clarifier la zone grise qui entoure ce recadrage et ceci en évitant un transfert dommageable de responsabilité sur des enfants ou le corps estudiantin.
Christophe Girardin, secrétaire général du SEJ
1 https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2001/422/fr
2 https://www.lqj.ch/articles/les-enseignants-autorises-a-donner-des-notes-pas-des-medicaments-102461
3 https://www.lex4you.ch/fr/themes-du-mois/l-enseignant-peut-il-administrer-des-medicaments?
https://www.lqj.ch/articles/une-gastro-seme-le-chaos-au-camp-ski-de-lecole-de-develier-44802