Pages ouvertes - 04/2023

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Retour vers le futur : vécu scolaire d’enseignant·es et d’élèves vaudois·es durant la crise sanitaire

 

 

Introduction

La crise sanitaire liée au covid 19 a fortement chamboulé le fonctionnement de l’école, que ce soit avec la mise en place de l’enseignement à distance, la mise en œuvre de mesures sanitaires changeantes ou la gestion des absences et des mises en quarantaines. Des études menées auprès d’élèves adolescent·es de différents pays soulignent que l’augmentation du recours aux nouvelles technologies d’information et de communication dans l’enseignement a significativement élevé le niveau de stress scolaire ( Garica-Moya & al., 2021 ) et que la situation se péjore pour 10 % à 17 % des élèves, avec notamment des niveau de burnout plus importants qu’avant la pandémie ( Salmela-Aro & al., 2021 ). En ce qui concerne les enseignant·es, il apparait notamment que l’incertitude sur la durée de fermeture des écoles, le manque de formation et de préparation à l’enseignement à distance, les inquiétudes pour les élèves les plus vulnérables et les efforts pour préserver l’engagement scolaire sont autant de facteurs qui ont contribué à l’augmentation du niveau de stress ( Kim & Asbury, 2020 ) mais aussi de burnout ( Sokal & al., 2020 ).

Dans la continuité de ces études, nous nous sommes intéressé·es au vécu d’enseignant·es et d’élèves vaudois·es durant la crise sanitaire en termes de stress lié à la charge de travail, d’impact des contraintes sanitaires, de sentiment de compétence dans le travail à distance et de burnout. L’objectif était d’une part de décrire et comparer le vécu des enseignant·es et des élèves et d’autre part d’identifier ce qui dans ce vécu permet de prédire le burnout.

 

Méthode

Population et procédure

Notre population est composée de 139 élèves ( filles = 43 % ) et de leurs 28 enseignants ( femmes = 57% ) provenant de deux établissements scolaires vaudois. Les élèves sont âgé·es entre 12 et 16 ans ( M = 13,5 ) et réparti·es dans les deux filières de fin de scolarité obligatoire. Les enseignant·es sont âgé·es entre 25 et 61 ans ( M = 40 ) et enseignent différentes matières au moins trois périodes par semaine aux élèves interrogé·es.

Les données ont été récoltées à l’aide d’un questionnaire qu’élèves et enseignant·es ont complété durant le temps scolaire au printemps 2021. Les données ont été traitées de façon anonyme en respectant le code déontologique de la recherche dans les HEP.

Mesures

Le vécu scolaire face à la crise du covid a été mesuré à l’aide d’un questionnaire spécialement élaboré pour les besoins de l’étude ainsi que des échelles de burnout. Le questionnaire se compose de dix phrases permettant d’évaluer trois dimensions, à savoir le stress lié à la charge de travail ( ex. Ma charge de travail a augmenté dû à la crise sanitaire ), l’impact des contraintes sanitaires ( ex. Les mesures sanitaires rendent mon travail plus difficile ) et le sentiment de compétence dans le travail à distance ( ex. Je me sens à l’aise avec les outils informatiques pour l’école à distance ). Enfin, des échelles de burnout spécifiques aux élèves ( Meylan & al. 2015 ) et aux enseignant·es ( Dion & Tessier, 1994 ) ont été utilisées pour mesurer le niveau de burnout scolaire et professionnel ( ex. Je me sens émotionnellement vidé(e) par mon travail ). À noter que nous utilisons ici uniquement les scores d’épuisement émotionnel, car ce symptôme constitue la principale dimension du burnout.

 

Résultats

Les scores traduisant le vécu scolaire des élèves et des enseignant·es sont présentés dans le graphique ci-dessous. Tout d’abord, des analyses de comparaison de moyenne montrent que l’impact des contraintes sanitaires est perçu de façon significativement plus forte chez les enseignant·es que chez les élèves. Il apparait également que le sentiment de compétence dans le travail à distance est significativement moindre chez les enseignant·es que chez les élèves. En revanche, élèves et enseignant·es ne se différencient pas significativement sur le stress perçu en lien avec la charge de travail, ni en termes d’épuisement émotionnel. Nous avons ensuite cherché à identifier laquelle de ces dimensions permet le mieux de prédire les scores d’épuisement émotionnel à l’aide d’analyses de régression multiple. En ce qui concerne les élèves, il apparait que seule la surcharge de travail constitue un facteur de risque significatif. En ce qui concerne les enseignant·es, il apparait que l’épuisement émotionnel est principalement lié à la surcharge de travail et dans une moindre mesure à l’impact des contraintes sanitaires et au sentiment de compétence dans le travail à distance.   

 

Discussion

D’après nos résultats, la différence de vécu entre enseignant·es et élèves durant la crise sanitaire porte en particulier sur l’impact des contraintes sanitaires et de l’enseignement à distance. Ceci peut s’expliquer par le fait que les enseignant·es ont non seulement dû composer avec les contraintes sanitaires, mais ont aussi dû veiller au respect de ces contraintes par les élèves, ce qui a pu être une source de stress supplémentaire. Le passage rapide à l’enseignement à distance a aussi davantage impacté leur sentiment de compétence, ce qui pourrait s’expliquer pour certain·es par une moins bonne maitrise des outils informatiques, mais aussi par le fait que les directives concernant la mise en œuvre de l’enseignement à distance n’ont pas toujours été très claires et parfois même contradictoires.

Ensuite, le fait que les enseignant·es et les élèves ne se différencient pas en termes d’épuisement émotionnel est préoccupant, en particulier pour les élèves. En effet, de nombreux travaux ont précédemment mis en évidence l’importance de l’épuisement émotionnel chez les enseignant·es et nos résultats suggèrent que ce phénomène touche de façon similaire les élèves, ce qui n’était pas le cas avant la crise sanitaire. D’ailleurs, si l’on tient compte des scores globaux de burnout chez les élèves de notre étude, il apparait que 26,6 % d’entre eux·elles sont fortement à risque de burnout, alors que nous étions plutôt entre 8 % et 19 % pour cette tranche d’âge avant la pandémie. Enfin, nos résultats sur les prédicteurs de l’épuisement émotionnel mettent principalement en évidence que les élèves n’ont pas tant été impacté·es par les contraintes sanitaires et l’enseignement à distance que par le sentiment que la charge de travail a fortement augmenté. Cette impression est peut-être liée au fait que les élèves se sont retrouvé·es davantage seul·es face au travail scolaire, avec un moins grande possibilité de poser des questions et d’avoir du soutien de leur enseignant·es.

En conclusions, et malgré quelques limites méthodologiques ( faible échantillon et analyses transversales ), cette étude permet d’une part de mettre en évidence que les enseignant·es ont davantage ressenti les contraintes sanitaires et la difficulté de l’enseignement à distance que les élèves. D’autre part, les niveaux d’épuisement des enseignant·es et des élèves sont préoccupants et nécessitent davantage d’attention en termes de prévention et/ou de prise en charge. En ce sens et à notre avis, un travail sur le développement des compétences psychosociales serait une piste intéressante tant en formation des enseignant·es que dans les établissements scolaires. •

 

Les auteur·es tiennent à remercier Sabrina Gerber, Hanina Gerbi et Yassin Megzari pour leur implication dans la récolte de données et les analyses préliminaires.

 

Nicolas Meylan & Marine Hascoët, Haute école pédagogique du canton de Vaud

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