Suite de l’interview de Delphine Fiore Gachet, enseignante illustratrice, couplée avec celle de Lucas Giossi, directeur de la fondation des Presses polytechniques et universitaires romandes et auteur du texte du livre La petite boutique des odeurs.
Une citation qui t’inspire ?
Delphine Fiore Gachet : C’est une bonne question. J’ai plein de choses que j’aime lire, j’aime beaucoup les livres où il y a des petites phrases, on en lit beaucoup avec ma fille. J’en ai une mais je ne sais plus qui l’a écrite … « À quoi je vais donner naissance dans cette journée qui ce soir va me rendre fière ? »
Lucas Giossi : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Antoine Lavoisier
Cette phrase constitue l’un des fondements de la science moderne. Elle explique que tout ce qui existe dans le monde peut changer, mais ne disparait jamais complètement. Pour moi, c’est une source d’inspiration et d’espoir, car tout ce que nous faisons au cours de notre vie, tout ce que nous voyons, sentons, touchons et aimons compte et reste quelque part pour toujours sous une forme ou une autre.
La dernière blague qui t’a fait sourire ou rire ?
Delphine : J’ai la chance d’avoir un mari très drôle qui me fait rire tous les jours. Mais Louise, ma file de 7 ans, a un livre pour s’endormir, les 500 blagues les plus drôles pour les enfants, et elle m’en dit chaque jour … L’autre jour elle m’a demandé : « Quel est le poisson le plus léger de tous les océans ? » Évidemment, je n’ai pas trouvé et c’était … « la palourde ». Et j’ai vraiment ri parce que c’est tellement con.
Lucas : La réélection de Donald Trump, même si le rire était jaune.
Un tableau qui t’a marquée ?
Delphine : Les tableaux j’en ai plein qui me plaisent …
J’admire les peintures de William Turner, notamment pour cette lumière incomparable qu’il parvient à insuffler à ses tableaux. Si, un jour, je réussissais à capturer ne serait-ce qu’un infime éclat de cette lumière dans mes propres peintures, alors je pourrais mourir tranquille.
Si tu pouvais te réveiller demain en ayant acquis un nouveau talent ou une qualité, ce serait quoi ?
Delphine : Je peux te répondre plus tard ? Je réfléchis …
( Elle y revient à la fin de l’interview ) Je crois que j’ai trouvé la qualité … C’est être plus indulgente avec moi-même ! Se réveiller un matin, un jour et dire « Ah ouais, tu as fait tout ça ! » On ne le fait jamais, mais si je pouvais acquérir ça dans cette humble vie, ce serait super !
Lucas : J’aimerais avoir une mémoire absolue, pour me souvenir précisément de tout ce que je lis.
Une cause qui te tient à cœur ?
Delphine : L’éducation en général. L’éducation parce que je suis quelqu’un de positif, mais je suis très sensible et ce qu’il se passe dans le monde m’atteint beaucoup. Je me protège de ça en ne regardant plus les nouvelles. Mais il y a beaucoup de pays qui n’ont pas droit à l’éducation, surtout les filles, comme en Iran par exemple. Je crois que l’éducation me touche au quotidien, parce que je me demande toujours « est-ce que j’ai fait au mieux ? », Je me tourmente beaucoup avec ça. L’éducation est très présente au niveau de l’école, notamment par le lien avec les parents. Et de se rendre compte que parfois certain·es enfants n’ont pas de chance, qu’ils et elles vivent avec les écrans, ou qu’ils et elles ne vivent pas ou peu de moments partagés avec leurs parents. Je me dis que ça existe vraiment et ça me touche. Donc si je pouvais aider plus, ça m’irait, mais ça me questionne vraiment !
Lucas : La lutte contre le harcèlement scolaire. Il a pris une tournure dramatique avec les réseaux sociaux, amplifiant ce qu’il y a de plus néfaste dans l’effet de groupe, protégeant les harceleurs et les harceleuses derrière l’écran et poursuivant les harcelé·es par-delà les murs de l’école. C’est un fléau contre lequel personne n’est armé et dont les conséquences sont délétères.
Si on devait inventer un prix Nobel ?
Delphine : Le prix Nobel de la gentillesse. On dit toujours des gens qu’ils sont gentils et on rigole avec ça. Mais on aurait tellement besoin de gens gentils. Des fois, on n’a juste pas le temps d’être gentil parce qu’on pense à nous et à notre quotidien. Ça manque beaucoup.
Lucas : Le prix Nobel de la connerie ! Actuellement, on aurait l’embarras du choix vu la marche (sur la tête) du monde.
Un souvenir fort d’un·e de tes enseignant·es …
Delphine : Je garde un souvenir inoubliable de mon enseignant de 7-8 H. C’était une personne véritablement passionnée ! Il avait ce talent de mettre en avant les points forts de chacun·e ( les mathématiques … euh je plaisante, plutôt l’art, en ce qui me concerne ! ).
Il aimait particulièrement la mise en scène, et grâce à lui, nous avons créé de magnifiques spectacles qui réunissaient toutes et tous les élèves de l’école.
J’ai eu la chance de revivre une expérience similaire, mais cette fois en tant qu’enseignante. Avec mes collègues, nous avons monté un spectacle de cirque impliquant tous·tes les élèves. C’était un immense travail, mais quelle satisfaction ! Voir les plus petit·es et les plus grand·es s’entraider, créer des liens, et surtout, donner à chacun·e l’occasion de « briller » en dehors du cadre scolaire habituel … c’était magique.
Ces projets demandent beaucoup d’énergie, mais c’est précisément ce genre d’initiatives qui donnent du sens à notre métier.
Lucas : Monsieur Giroud en 3e du CO. Il est le premier à m’avoir fait comprendre que j’avais des compétences. Mon parcours d’études et professionnel sont l’heureuse conséquence de cette petite reconnaissance.
Une formation continue que tu conseilles ?
Delphine : Au fil de mes formations et des visites dans des écoles adoptant des approches pédagogiques alternatives – telles que l’école en forêt, Montessori ou la classe flexible –, j’ai pu constater à quel point ces méthodes respectent le rythme et les besoins des élèves d’aujourd’hui.
Il y a quelques années, inspirée par l’enthousiasme d’une amie de retour d’une expérience d’enseignement Montessori au Canada, j’ai suivi une courte formation dédiée à cette pédagogie. Depuis, avec ma collègue, nous intégrons quotidiennement des ateliers inspirés de cette méthode dans notre pratique.
Jour après jour, nous avons le plaisir d’observer les progrès de chacun·e, que ce soit en concentration, en autonomie ou dans les différents domaines.
Pourquoi tu es syndiquée ?
Delphine : Parce que je n’ai pas le choix, sinon je n’ai plus d’amies ! Non, parce que ça correspond à mes valeurs. J’ai des valeurs qui me tiennent à cœur et je ne peux pas toujours exercer comme je le voudrais dans mon métier et je pense que c’est mon devoir de pouvoir le dire par cette voie-là.
Encore quelques questions à Lucas Giossi
Une question que tu te poses …
Est-ce que les jeunes savent encore lire ? J’entends : prendre le temps de lire des livres à l’heure où ils et elles sont bombardé·es de formes courtes qu’ils·elles traversent en zappant ? À mon sens, l’humanité est en train de perdre des compétences fondamentales avec ce changement de modèle de consommation de l’écrit. Cela m’inquiète beaucoup, et à tous les niveaux.
Si tu pouvaiseffacerune chose de l’École,
ce serait ? …
Les devoirs. Ça emmerde tout le monde (enseignant·es inclus·es), ça renforce les inégalités et contribue à dégouter les enfants de l’école.
Quelles sont les situations de vie auxquelles l’école t’a le mieux préparé ?
Que l’intérêt pour une matière vient moins de la matière que de l’enseignant·e. Tout est passionnant si c’est transmis avec passion.
La dernière connaissance que tu as acquise ?
Difficile, car j’en apprends beaucoup tous les jours par mon métier d’éditeur scientifique. Disons que la dernière connaissance marquante a été celle-ci : si on plaçait un cylindre géant autour de la tour Eiffel, l’air contenu dans ce cylindre serait plus lourd que la tour Eiffel elle-même.
Quel meilleur conseil te donnerais-tu si tu te croisais à 15 ans ?
Ne t’inquiète pas de ce que tu ne sais pas encore, car tout s’apprend, mais peut-être pas au moment où on te le demande.
Qu’est-ce que tu aimerais faire dans dix ans ?
Dans dix ans, j’en aurai 50. Ma vie me plait et je souhaite qu’elle suive son cours dans ce sens, avec peut-être un peu plus de tranquillité d’esprit.
Ton hit-parade du stress ?
Les discours en public.
Comment te ressources-tu ?
Ma famille et la course à pied.
Est-ce que tu détestes quelqu’un, quelque chose ? Pourquoi ?
Je déteste la désinformation et tout ce qui va avec (fake news, complotisme, climatoscepticisme, populisme, etc.).
Un livre ? et pourquoi ?
Les secrets de l’air qui nous entoure (Sam Kean). Un récit très accessible des mystères de l’air, qui est à la source de mon premier album jeunesse illustré par Delphine Fiore.
Claire Spring