« Plus je dessine, plus j’en ai envie ! »

Delphine Fiore Gachet est enseignante primaire dans le canton de Fribourg. À côté de ce métier qu’elle aime, elle explore tout son talent dans sa passion d’illustratrice. Cet article (et le suivant en janvier) vous permettront de faire connaissance avec elle et vous donneront certainement envie d’aller découvrir son univers magique ! Pour son dernier livre, elle a collaboré avec Lucas Giossi qui a écrit cette belle histoire. Entretien.

Comment êtes-vous arrivé·es à ce livre, à cette collaboration, Lucas Giossi et toi ?

Delphine Fiore Gachet : Ça fait quelques années qu’on se connait avec Lucas. Il suivait ce que je faisais, l’arrivée de mes livres et m’a toujours complimentée pour mes illustrations. Il avait envie d’écrire depuis un moment déjà et quand enfin cette histoire est venue à lui, en pensant à ses enfants, il m’a demandé ce que j’en pensais et si j’avais envie de l’illustrer avec mon univers.

Qu’est-ce qui t’a amenée à dessiner ? Est-ce que tu l’as toujours fait ? Est-ce que c’est venu avec ton métier d’enseignante ?

J’ai toujours dessiné et j’ai toujours eu des enseignant·es qui m’ont encouragée à le faire. J’ai continué jusqu’à ce que j’aie moins de temps (durant mes études), mais j’étais quand même toujours la première à rendre des copies avec des gribouillages, j’en avais partout !

Puis est venu le moment de décider ce que j’allais faire après le collège … Le métier d’enseignante me plaisait depuis toujours et l’autre option était une école d’art, mais je crois que j’ai pris peur de ne pas savoir à quoi ça allait amener. Et le dessin m’a assez vite rattrapée quand j’étais installée dans le métier d’enseignante. Ça m’a manqué et j’ai baissé mon taux de travail pour pouvoir avoir au moins un jour par semaine pour dessiner.

Est-ce que tu te vois, un jour, arrêter l’enseignement pour passer totalement à l’illustration, ou tu garderais les deux … Comment vois-tu les choses ?

C’est le grand dilemme qui me questionne à ce jour. Avant, ça ne m’a jamais effleurée, c’était clair que je garderais les deux. Et je commence à me poser la question, j’ai d’ailleurs encore baissé mon temps en classe cette année. 

Avant, je ne m’imaginais pas faire l’un sans l’autre, car je m’inspirais beaucoup de ce que je vivais avec mes élèves … Et il y a le côté social qui compte, car quand tu es illustrateur ou illustratrice, tu es seul·e à ton bureau. Ça je le ressens, mais je me questionne quand même, car plus je dessine, plus j’en ai envie ! Ce n’est pas que je n’aime plus l’enseignement, ça me plait toujours. Mais les deux me demandent beaucoup d’énergie ! Pour l’illustration, il y a la phase de créativité, puis la phase de promotion où tu enchaines pas mal. Dans l’enseignement, je suis perfectionniste et j’en fais toujours des tonnes, même à 35 %, car j’ai envie que mes élèves soient bien et apprennent quelque chose. 

Si tu avais fait un autre métier ?

Ça aurait de toute façon été dans la création. J’ai essayé la céramique, j’ai acheté un kit pour faire du tatouage, j’ai envie de tout essayer, vraiment !

Est-ce que la création te permet de t’évader ? 

C’est clairement ça, les moments de création sont des moments où je me pose. C’est un travail, mais un travail qui me permet de m’évader. Je travaille en musique et pour chaque livre, j’ai une playlist qui tourne pendant des mois. Et ça change pour un nouvel album ou une nouvelle création. Je suis vraiment dans mon monde et ça me ressource beaucoup.

Que dirais-tu à un·e jeune qui est tenté·e par le métier ? Que ce soit pour l’un ou l’autre, ou un·e jeune qui se questionnerait comme toi entre deux métiers …

Ce que j’aimerais dire à mes enfants plus grands c’est … Essayez, prenez du temps pour tout tester. Dans l’enseignement par exemple, on devrait faire du terrain avant de commencer la HEP, car c’est formateur de s’imprégner de l’ambiance pour sentir si c’est quelque chose qu’on est apte à faire. Comme tous les métiers humains, il faut avoir le ressenti que c’est ok avec des enfants, que c’est ok de voir des choses difficiles. Est-ce que j’ai cette spontanéité-là ? Le terrain, c’est là qu’on voit la réalité de tous les métiers en fait !

Les illustrations, c’est la même chose, est-ce que j’arrive à enchainer ? Ce qu’il faut savoir, c’est que ces deux métiers me demandent beaucoup d’énergie mais j’ai un confort parce que je fais ce que je veux dans l’illustration. Ça veut dire que je ne dois pas prendre plein de mandats qui ne me plaisent pas, je choisis ce qui me plait vraiment et ce n’est que du plaisir. Mais si un jour je ne fais plus que ça, est-ce que je pourrai garder cette liberté-là ?

Pour un·e jeune, je l’encouragerais quand même à essayer un moment l’un, un moment l’autre, mais d’y aller à fond et de ne pas abandonner ses idées.

Et je pense aussi, maintenant, avec mon vieil âge (Lol), que plus on avance dans la vie, plus c’est possible, suivant notre personnalité, qu’on ne fasse pas qu’un métier dans notre vie, mais que l’on change d’envie tout le temps en fait et qu’il faut les écouter.

Pour moi, les valeurs sont importantes et c’est très compliqué, parce que nos valeurs changent un peu en vieillissant et il faut pouvoir se retrouver toujours en phase avec ce que l’on fait tous les jours, que ce soit le métier, la famille, les passions …

Pour être un·e bon·ne enseignant·e, il ne faut pas être blasé·e, il faut être motivé·e tout le temps, parce que sinon les enfants le sentent, et on perd l’énergie aussi. Ça ne fait pas mille ans que j’enseigne, ça en fait quinze, mais le métier a déjà changé et si tu n’es plus en phase avec tes valeurs, c’est le moment de modifier quelque chose. Dès le moment où tu es avec des êtres humains, tu ne peux pas te permettre d’être quelqu’un qui n’aime plus son métier. Aimer son métier et être motivé·e, c’est tellement important !

( La suite de l’interview dans le prochain numéro … )

Claire Spring