Regard d’une enseignante sur le concours national EDUKI

Le concours EDUKI, placé sous le haut parrainage de la directrice générale de l’ONU, Genève, invite les jeunes de toute la Suisse à partager leur vision du futur et à imaginer, à créer ou à agir pour un monde durable à travers différents formats de travaux. Dans le cadre de cet article, j’ai rencontré Céline Buffin de Chosal, enseignante au secondaire II, qui a participé au concours 2023/2024 avec ses classes de 2e année de l’école professionnelle. Son témoignage montre comment un tel projet s’intègre dans une année scolaire, quels défis il impose, mais aussi les motivations et les apports pédagogiques d’un tel engagement pour les élèves.

Comment as-tu entendu parler du concours ? 

Je cherchais sur internet des ressources pour aborder le développement durable autrement. Avant de découvrir EDUKI, j’emmenais souvent mes élèves dans Lausanne : ils·elles choisissaient un sujet lié au développement durable, par exemple l’obsolescence programmée, préparaient un argumentaire, puis demandaient aux passant·es de signer uniquement s’ils·elles trouvaient leur argumentation convaincante. Je mettais même mon numéro sur les feuilles pour rassurer les gens sur l’usage des signatures ! C’était un exercice stimulant, mais j’avais envie de renouveler l’approche. C’est sur le site d’éducation21, que je consultais régulièrement pour trouver de nouveaux jeux ou outils, que j’ai remarqué EDUKI parmi les partenaires. Un jour, j’ai vu l’annonce du concours organisé tous les deux ans. C’était la bonne année, et je me suis dit : pourquoi pas ? Alors, je me suis lancée avec mes classes. 

Qu’est-ce qui t’a motivée à y participer ? 

Ce qui m’a vraiment convaincue, c’est que le concours proposait de travailler sur l’Agenda 2030 et les Objectifs de développement durable (ODD). Mes élèves avaient souvent de la peine à comprendre ces objectifs dans le contexte suisse. Quand on évoquait par exemple la gestion de l’eau, ils·elles me disaient : « Mais on a des lacs, des rivières, des glaciers … quel est le problème ? » D’ailleurs, à ce moment-là, un rapport venait de sortir sur l’état de la Suisse face aux ODD. Il faisait une quinzaine de pages, et je savais que demander à mes élèves de le lire serait mission impossible. Mais avec ce concours, basé sur trois objectifs, je me suis dit qu’il serait possible de travailler sérieusement sur ce sujet sans pour autant les noyer d’informations.

Le concours proposait plusieurs formats : production artistique, média ou action concrète. J’ai choisi cette dernière option sans hésiter. Je voulais que mes élèves fassent quelque chose de réel, d’utile et, je dois être honnête, la possibilité de gagner de l’argent pour le projet en l’inscrivant aussi à la Bourse Françoise Demole, ouverte aux actions concrètes les plus innovantes du secondaire II, a aussi été un moteur. Les élèves ont immédiatement commencé à calculer combien cela ferait par personne ! Leur enthousiasme était communicatif. Mais au-delà de la bourse, qui sert à couvrir les frais liés à la réalisation ou à la pérennisation du projet et qui n’est pas directement destinée aux élèves, je savais surtout que l’action concrète correspondait à leur manière d’apprendre, car ils·elles ont besoin de se mobiliser et de faire pour comprendre. 

Comment s’est passée la mise en place du projet ? 

Pour lancer le projet, j’ai voulu rendre le travail aussi simple et structuré que possible. Habituellement, je laisse mes élèves travailler en autonomie pour rédiger une argumentation, en s’appuyant sur la méthodologie que je leur enseigne. Cette fois, j’ai repris toutes les indications du site EDUKI, c’est-à-dire les objectifs, les étapes, les exigences, y compris le volet budgétaire, et j’en ai fait un document Word prérempli. Ils·elles n’avaient plus qu’à compléter chaque partie au fil des semaines. La mise au travail a été étonnamment fluide. Je leur avais dit : « Vous avez chaque semaine un temps dédié pour avancer sur le projet ». Une fois l’idée choisie collectivement, nous avons réparti les rôles : un groupe responsable du budget, un autre du visuel, un autre de la recherche, etc. Les élèves travaillaient à plusieurs sur le même document, avec les ordinateurs disponibles en classe. Au total, les élèves ont eu presque six mois pour mener le projet à terme. Le plus difficile, finalement, a été le choix de l’idée. Chacun·e arrivait avec sa proposition, parfois très ambitieuse, mais, pour finir, ils·elles ont voté pour un projet réalisable et qui ne dépassait ni leurs capacités ni leur motivation. 

Quels sont les projets imaginés par les élèves ?

Je me souviens encore de deux idées qu’avaient proposées les classes. La première était une application destinée à référencer les restaurants lausannois engagés en faveur de la durabilité. Les élèves avaient élaboré une échelle de critères : offrir une carafe d’eau gratuitement, utiliser l’eau du robinet, privilégier la viande suisse, proposer davantage de plats végétariens … Ils·elles avaient même imaginé un système de différents logos, en s’inspirant de la « Fourchette verte », afin d’évaluer les niveaux de durabilité des établissements. 

La deuxième idée concernait un label destiné aux entreprises formatrices. L’objectif était de mettre en valeur les patron·nes qui s’engagent réellement dans la formation continue, qui suivent leurs apprenti·es jusqu’au bout, et qui favorisent l’égalité des chances. Ce label liait à la fois des objectifs environnementaux et sociaux de l’Agenda 2030. Là encore, ils·elles imaginaient un fonctionnement à travers une application.

En tant qu’enseignante, que tires-tu comme leçon de ce concours ? 

Ce concours m’a appris que les élèves ont bien plus d’imagination qu’on ne le pense. Leur proposer un travail par projet est non seulement stimulant, mais profondément formateur. Avec davantage de temps, j’aurais même aimé combiner ce travail avec des cours sur le budget, sur la présentation d’un projet ou sur la gestion d’équipe. Ce concours ouvre la possibilité d’un enseignement interdisciplinaire riche.  

J’ai aussi réalisé que participer à un concours implique un grand nombre d’étapes administratives et que cela fait aussi partie de l’apprentissage. Par exemple, pour la cérémonie de remise des prix à Genève (optionnelle dans le cadre du concours), il a fallu fournir une photo conforme, un passeport ou une carte d’identité valide, remplir un formulaire, comprendre qu’à l’ONU les règles ne sont pas négociables. Tout cela a été très formateur pour les élèves. Ils·elles ont vécu concrètement le fait que les procédures ne sont pas seulement une contrainte scolaire, mais une réalité du monde professionnel et institutionnel. 

Enfin, cette possibilité de se rendre à Genève a été un moment marquant pour tout le monde. Les élèves connaissaient l’objectif: pouvoir accéder à la visite, profiter de toute la journée, participer aux activités proposées. Les voir évoluer dans cet environnement, découvrir l’ONU de l’intérieur, comprendre la portée de leur projet … tout cela a donné une valeur supplémentaire à leur engagement.

Quelles adaptations dans la salle de classe ?

Ce projet a aussi exigé plusieurs adaptations dans l’organisation au sein des classes. Pendant six mois, et même si cela n’était pas requis pour pouvoir soumettre les projets, j’ai consacré trois périodes par semaine au travail sur EDUKI. Cela représentait un investissement conséquent, mais à mon avis indispensable pour permettre aux élèves d’avancer de manière structurée. L’aspect le plus complexe n’était pas tant le travail en classe que l’organisation administrative autour du concours. Par exemple, la remise des prix, à laquelle nous tenions à assister, ne tombait pas un jour où j’enseignais. J’ai dû demander des échanges d’horaires et me coordonner avec mes collègues. L’autre grand défi a été la mobilité. Pour aller à Genève, il n’existe plus de « tickets école » simples à obtenir, il faut parfois réserver un wagon entier auprès des CFF. Cela demande du temps, de l’anticipation et une bonne dose de persévérance.

Qu’ont retenu les élèves de leur expérience à Genève? 

La classe n’a pas gagné le concours, mais la journée à Genève a été extraordinaire. Les élèves sont entré·es dans un lieu privilégié. Ils·elles se sont assis·es dans un véritable hémicycle où d’autres personnes d’importance prennent des décisions au quotidien, et ils·elles ont pu découvrir de nombreux projets proposés par d’autres écoles. Cette immersion a donné une dimension impressionnante à leur travail. Toutes et tous ont réalisé que leurs idées, leurs réflexions et leur engagement se situaient sur plusieurs niveaux : local, régional, national, mais aussi international. Les élèves ont trouvé cette expérience « pire bien ». Ils et elles en ressentaient de la fierté d’y avoir participé et, à leur retour, certaines personnes se disaient même « fâchées » de ne pas s’être investies davantage, de ne pas avoir donné le maximum, alors qu’en voyant les projets gagnants, elles s’en sentaient à la hauteur finalement. Ce fut une jolie leçon de vie ; toujours se donner à fond pour ne rien regretter.

Et pour la suite ? Une piste pour les établissements

Une réflexion que je garde de cette expérience, c’est que ce type de projet correspond parfaitement à l’enseignement de la culture générale en voie CFC duale. Et qu’au gymnase, où le nombre de cours différents par jour rend l’enseignement par projet plus difficile, il serait peut-être aussi envisageable de mettre en place une version interne de ce type de concours en se basant sur les ressources disponibles d’EDUKI. Cela permettrait de continuer à encourager la réflexion des jeunes sur les thématiques d’actualité et de mettre en avant leur voix et créativité. •

Arlinda Ramqaj