Une vie dans la guerre

Il y a lieu d’être très inquiets. Nous sommes en train de vivre la guerre à l’intérieur même du pays, vu la situation délétère à laquelle nous faisons face. La guerre en ce sens, nous devient ordinaire, elle est dans notre quotidien. On a l’impression d’être, au sens hobbesien du terme, dans un état de nature. L’État est quasi inexistant. Ce qui fait que si la guerre dont nous parlons concerne d’abord la non garantie du droit à la sécurité, elle n‘est pas sans conséquence sur la qualité de l’éducation que reçoivent nos enfants. Quand on commence un journée de classe, on doit attendre sa fin pour la compter comme réalisée. Une situation qui défi même les données scientifiques.

Depuis environ deux ans, on n’arrive pas à faire plus que la moitié des jours de classes prévus par le calendrier scolaire. L’avenir de l’éducation paraît de plus en plus menacé. Dans cette société très polarisée, où seuls les intérêts des groupes priment, la lutte égoïste pour la place, est la principale source de nos malheurs. Pas de promotion de valeurs.

On veut tous atteindre, sans vouloir remplir des conditions, une place qui peut être un héritage lié à la couleur de la peau ou obtenu par la richesse. La volonté d’y parvenir ne laisse pas de place à la tolérance. La violence commence par triompher. La commande aide dès lors au gangs.

Dans nos écoles, la facilité est priorisée au détriment de l’important et s’exprime même dans les méthodes d’enseignement. Au lieu d’être des participants dans les salles de classe, les élèves deviennent des spectateurs. Un professeur qui décide de faire autrement s’isole par rapport aux pratiques. C’est notre cas. En choisissant de faire autrement nous risquons d’être mal compris, aussi bien par les apprenants que par les collègues ou responsables d’établissement.

Face à cette situation permanente de guerre, nous, promoteurs de l’Éducation Nouvelle devons jouer un rôle médiateur, regarder toutes les alternatives possibles dans la situation de guerre actuelle mais aussi prévenir, anticiper celle qui pourrait arriver, par la dénonciation, la formation. C’est pour cela que nous nous engageons dans une lutte visant à agir sur cette réalité. En effet régulièrement nous offrons des formations pédagogiques aux enseignants car ils n’ont pas, majoritairement, de formation initiale. La culture de la bienveillance, le civisme, la tolérance, la valorisation des autres et leurs droits, l’entraide traversent toutes ces formations.

Joël Saintiphat, enseignant, formateur, Haïti

Déjà paru Dialogue 180, avril 2021. Nous remercions la revue pour l’autorisation de re-publication.