Ancrée dans notre Constitution (art. 19), dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 26), dans la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et aux droits des personnes handicapées, l’éducation est un droit fondamental « dont le but est de sortir les hommes et les femmes de la pauvreté, de réduire les inégalités et d’assurer un développement durable » (UNESCO). L’éducation en tant que droit fondamental ne se limite pas à l’acquisition de savoirs ou de compétences, elle a également pour mission de former des citoyen·nes libres,responsables et conscient·es de leurs droits et de ceux des autres. C’est dans cette perspective que l’éducation aux droits humains [EDH] prend tout son sens.
Dans un monde marqué par de profondes tensions, une montée des discours de haine et des atteintes répétées à la dignité humaine, il est essentiel de renforcer l’éducation pour apprendre sur, pour et par les droits humains (éducation21). Définie par la Déclaration des Nations unies sur l’éducation et la formation aux droits de l’homme (2011), elle représente « l’ensemble des activités d’éducation, de formation, d’information, de sensibilisation et d’apprentissage visant à promouvoir le respect universel et effectif de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales et à contribuer ainsi, entre autres, à prévenir les atteintes aux droits de l’homme en permettant aux personnes de développer leurs connaissances, leurs compétences et leur compréhension de ces droits et en faisant évoluer leurs attitudes et comportements, en vue de leur donner les moyens de contribuer à l’édification et à la promotion d’une culture universelle des droits de l’homme » (art.1).
Cette vision, loin d’être uniquement théorique, est inscrite dans notre système éducatif romand à travers le Plan d’études romand, le Plan d’études cadre pour les écoles de maturité et de culture générale, ainsi que dans la lignée de l’éducation en vue du développement durable, dont elle constitue un pilier primordial. Elle apparait tantôt au travers de sujets tangibles à aborder en classe (le droit, la démocratie, l’économie mondialisée, etc.), mais aussi comme des compétences transversales (la collaboration, l’exercice de la pensée critique, etc.). Elle contribue ainsi à faire de l’école un lieu d’émancipation où chacun·e apprend à connaitre ses droits et permet aussi de former des citoyen·nes responsables, capables de faire face à la complexité du monde et de contribuer à cette culture universelle des droits humains.
Mais concrètement, comment traduire cela en classe et par où commencer ? Voici quelques pistes d’action.
Tout d’abord, dans une perspective à long terme, il est important de préciser que l’EDH commence dès l’école primaire, puis se poursuit au secondaire I et II, avec des problématiques qui se précisent avec le temps, mais dont l’introduction peut se faire dès le plus jeune âge. Au niveau primaire, par exemple, il est possible d’introduire les notions de soi, de communauté ou de responsabilité personnelle pour aborder la question du respect, à travers l’exercice de l’écoute, de l’empathie, du travail individuel ou en groupe, entre autres. On peut, par exemple, créer un cercle de discussion dans lequel les élèves s’assoient et répondent à des questions ouvertes telles que « Qu’aimerais-je apprendre ? », « Qu’est-ce que j’aime le plus à propos de moi ? », ou encore « Qu’est-ce que je me souhaite ? ». Plus tard, l’enseignant·e peut aborder la question de la citoyenneté, la distinction entre ce que l’on veut, ce dont on a besoin et les droits dont on dispose. Ceci peut se faire par l’exploration des concepts de droits individuels et collectifs, de liberté, d’égalité ou encore de justice. On peut alors introduire la distinction entre un fait et une opinion, mener des interviews entre camarades, au sein de l’école ou de la famille, et confronter les différents points de vue.
Au secondaire, il est possible de transmettre des connaissances plus spécifiques sur les droits humains à travers des thématiques telles que la durabilité, la paix, la politique ou l’économie. Pour développer ces concepts, on peut faire appel à des projets de recherche, de collecte et de partage d’informations. On peut également s’intéresser aux problèmes liés aux droits humains, tels que l’apathie, la répression, la dégradation environnementale ou l’injustice, et aborder les qualités de l’être humain en tant qu’être social. Des activités, telles que les jeux de rôle, l’écriture créative ou l’étude de cas, peuvent être des moyens pratiques d’aborder ces thématiques. Avec des élèves plus âgé·es, en plus de continuer à explorer et à approfondir les aspects précédents, il pourrait aussi être envisageable de discuter de la morale et de la participation civique. Il est important d’expliquer aux élèves qu’ils·elles ont également le droit d’apprendre leurs droits et de les interroger sur ce qu’ils·elles en savent, pourquoi ils·elles sont important·es, et peut-être aussi, à un niveau méta, leur demander comment ils·elles pensent que ces droits devraient leur être enseignés. Les relations entre leur monde local et le monde global peuvent être explorées en les faisant travailler sur des articles de journaux qui décrivent ce qui se passe dans une autre partie du monde, et en les invitant à parler de musique, d’environnement, de nourriture, de ressources, de politique, etc., pour qu’ils·elles puissent explorer les interconnexions entre leur contexte local et le contexte global.
Pour aller plus loin, on peut aussi évoquer un exemple tiré de l’enseignement des langues. Ces notions de droits humains sont souvent travaillées à travers des œuvres littéraires qui ouvrent un espace de réflexion et d’empathie pour les élèves. En se mettant à la place d’un personnage, ils·elles établissent des liens entre l’univers fictif décrit par le livre et notre propre réalité. Ces lectures nécessitent aussi de construire des ponts avec l’histoire pour explorer, par exemple, les inégalités sociales, le racisme, ou les luttes pour la justice, tout en enrichissant le vocabulaire et en développant la capacité à débattre de manière argumentée. Ce type d’approche favorise également l’interdisciplinarité. Dans un autre cas de figure, si l’on aborde la question des ressources, comme celle de l’eau, qui est reconnue comme un droit fondamental, il devient possible de faire dialoguer et de créer des parallèles entre la littérature, l’économie et les sciences sociales. De ce fait, l’apprentissage autour de la thématique de l’eau permet alors d’ancrer le savoir dans des enjeux concrets et universels.
Ces pistes ne sont pas exhaustives et ne soulèvent que de façon superficielle quelques idées pour ancrer l’EDH dans nos pratiques. Cependant, elles permettent tout de même de rappeler qu’il est possible d’utiliser l’EDH comme un cadre de référence à travers lequel lire le monde et apprendre à l’appréhender.
En tant que fil conducteur de son programme, comme une thématique à part entière ou comme un outil pour développer des compétences plus abstraites, l’enjeu n’est pas ici d’ajouter une charge supplémentaire aux enseignant·es ou même aux élèves, mais plutôt d’infuser ces valeurs dans les disciplines déjà existantes et de renforcer l’idée que l’enseignement à travers la perspective des droits universels prépare les élèves à comprendre le monde et à y participer pleinement. C’est aussi l’occasion de s’interroger sur le sens de l’éducation et de notre mission. Si le débat entre instruire et éduquer persiste et que nous ne pourrons jamais réellement trancher, notre responsabilité demeure de préparer au mieux les élèves à leur avenir, et cela passe par l’EDH. Plus que jamais, dans une société en quête de repères et de valeurs humaines, l’EDH nous permet de faire de nos classes des espaces d’humanité, où les savoirs se mêlent à la vie, où la réflexion peut être nourrie et où l’éveil des consciences peut se réaliser.
Arlinda Ramqaj
